L’impact de l’apposition d’une postdate par le bénéficiaire sur la prescription des recours
Prenons le cas d’un chèque ayant été remis par le tireur sans date, le bénéficiaire l’ayant présenté à l’encaissement six ans après la remise en y apposant une postdate (pour éviter la prescription) et s’étant heurté à une opposition irrégulière du tireur, faite quatre ans avant la postdate et comme moyen de défense, le tireur va invoquer la prescription.
Le chèque n’en est pas moins payable à vue dès sa remise, qui ouvre donc le délai de présentation au terme duquel court celui de la prescription.
La mention de la date ayant été laissée en blanc lors de la remise, le bénéficiaire avait pu apposer une postdate qui lui aurait permis d’éviter la prescription. Toutefois, il était loisible au tireur de démontrer que cette mention ne correspondait pas à la véritable date d’émission. Comme ce dernier avait fait opposition quatre ans avant la postdate, on peut retenir que l’émission avait eu lieu au plus tard au jour de l’opposition de sorte que la prescription était largement acquise.
Ce cas particulier ne doit pas dissimuler la difficulté qu’a normalement l’émetteur d’un chèque à établir la véritable date de l’émission et le danger pour lui de laisser cette mention en blanc.
En effet, si à l’exception de la signature du tireur, les autres mentions obligatoires du chèque peuvent ne pas être apposées de sa main, celui-ci reste recevable dans ses rapports avec le bénéficiaire à établir le défaut de sincérité des mentions portées sur le titre après sa remise, notamment en ce qui concerne sa date d’émission.
Même si l’opposition du tireur a eu un caractère manifestement illicite, cette circonstance est sans incidence sur le cours du délai de prescription faute par le bénéficiaire d’avoir remis le chèque à l’encaissement avant l’acquisition de la prescription.
La date d’émission du chèque VS date de création du chèque
Date de création et date d’émission d’un chèque doivent être soigneusement distinguées. La seconde n’est pas nécessairement concomitante à la première. Elle lui sera même souvent postérieure puisque le chèque ne sera émis que lorsque le tireur s’en sera dessaisi au profit du bénéficiaire ou d’un tiers chargé de le lui remettre.
Deux éléments doivent donc être réunis : « création » et « mise en circulation »
La date d’un acte juridique constitue, par nature, un pur fait juridique. Qu’elle soit souvent décisive de la validité de l’acte et, toujours, de l’entrée en vigueur de ses effets, n’altère pas cette donnée que la situation de l’acte dans le cours du temps est un phénomène, certes d’origine volontaire, mais d’une réalité parfaitement objective. Ce qui n’en rend pas la preuve plus aisée – bien que libre – en cas de contestation.
En effet, si la charge de la preuve de la date d’un acte incombe, en règle, à celui qui s’en prévaut, on enseignait pourtant, et bizarrement, que la date de création apposée sur le chèque, par le tireur, valait présomption de celle de son émission. Même simple, une telle présomption eut constitué une dispense de preuve dont le bénéficiaire du chèque, en l’occurrence, entendait profiter.
Solution logique puisque, eu égard à l’effet translatif de l’émission, la présomption de sa concomitance à la création du chèque – qui favoriserait l’antidatage – n’est pas soutenue par une supposition suffisamment raisonnable. Dès lors, en pratique, en l’absence de preuve plus précise, la date d’émission se confond juridiquement avec celle de la remise du chèque en banque : opération qui donne lieu à horodatage et à penser que l’émission du titre a été, au moins, immédiatement préalable à son endossement à la banque.
Le transfert du chèque au porteur (la date de création)
On enseigne classiquement que la remise du chèque transfère au porteur « la propriété de la provision ». Mais cela veut-il dire pour autant que cette simple remise vaut paiement ? Il convient de répondre à cette question par la négative. En effet, comme le rappelle l’article 305 du code de commerce : « La remise d’ un chèque en paiement, acceptée par un créancier, n’entraîne pas novation. En conséquence, la créance originaire subsiste, avec toutes les garanties y attachées jusqu’à ce que ledit chèque soit payé ».
Le paiement n’intervient donc qu’à la suite de la présentation du chèque au paiement, lorsque celui-ci est bel et bien encaissé. Pour résumer, seul l’encaissement effectif libère le débiteur.
Le bénéficiaire du chèque est tenu, par conséquent, d’adopter une attitude active s’il souhaite se faire payer le chèque : il doit le présenter au paiement, c’est-à-dire le remettre à l’établissement bancaire. Or, cette présentation est strictement encadrée par la loi. Le chèque étant un titre payable à vue, il peut être présenté au paiement dès son émission, quelle que soit la date qui y est apposée. Pour mémoire, l’apposition sur le chèque de toutes les mentions indispensables, opération que l’on désigne par le terme de création, ne suffit pas à réaliser l’émission. L’émission requiert un élément supplémentaire d’ordre matériel : le tireur doit se séparer volontairement du titre. Notons ici que la date de création ne saurait être assimilée à la date d’émission.
Néanmoins, cette présentation n’est pas sans limite, l’article 268 du code de commerce précisant que « le chèque émis et payable au Maroc doit être présenté au paiement dans le délai de vingt jours ». Dès lors, qu’advient-il si ce délai n’a pas été respecté par le bénéficiaire du chèque ? Un délai de prescription existe en la matière : il est d’un an. Ce délai court à compter de l’expiration du délai de présentation, et non à la date de présentation. Dès lors, durant ce délai, le tiré demeure tenu de payer le chèque régulièrement provisionné (sauf opposition fondée sur un motif autorisé), obligation qui persiste jusqu’à la prescription. Le tireur, quant à lui, reste soumis à la règle de l’irrévocabilité de la provision ; il ne doit donc pas retirer les fonds, ni faire opposition au paiement. L’action dont dispose le bénéficiaire du chèque à l’égard de ce tireur doit être qualifiée comme étant de nature cambiaire. Il est ainsi en droit, à ce titre, de réaliser une saisie conservatoire. Notons qu’il n’est pas possible d’engager la responsabilité du porteur à l’égard du tireur pour présentation tardive.
Dès que le chèque lui est remis, le bénéficiaire est en droit d’en réclamer le paiement au tiré qui doit avoir les moyens de payer. En d’autres termes, il faut qu’il ait à la disposition du tireur des fonds suffisants. Ainsi, la provision doit exister dès l’instant de l’émission du titre : on dit que la provision doit être préalable. Il est alors de principe que c’est sur le tireur, en cas de contestation sur l’existence de la provision à ce moment, que pèse la charge de la preuve. Le législateur Marocain a ainsi estimé que l’obligation du tireur de constituer la provision et de garantir le paiement était trop essentielle pour qu’il en soit exonéré par la négligence du porteur.
« Attendu qu’à la lecture du chèque titre de la créance, il s’avère qu’il est daté du 15/10/2000, alors que la date de la requête n’a été introduite que le 29/01/2002, soit après plus d’une année, qu’il tombe donc sous le coup de l’article 295 du Code de Commerce.
Cependant, attendu que la prescription cambiaire invoquée par l’appelante doit se fonder sur la présomption de paiement. L’appelante ayant nié toute relation commerciale avec l’intimé, ainsi que la créance, elle a ainsi détruit cette présomption de paiement. Elle n’est donc plus en droit de se prévaloir de la prescription cambiaire fondée sur la présomption de paiement »[1].
La provision peut être constituée par un dépôt de fonds chez le tiré, mais aussi par l’ouverture de crédit en vertu de laquelle des fonds suffisants sont à la disposition du tireur. Ainsi, une telle ouverture de crédit fait naître à la charge du banquier une créance qui vaut provision et engage sa responsabilité s’il n’honore pas un chèque approvisionné de la sorte.
Quid du chèque de banque ?
Le chèque de banque est visé par le troisième alinéa de l’article 244 du code de commerce aux termes duquel « Le chèque ne peut pas être tiré sur le tireur lui-même, sauf dans le cas où il s’agit d’ un chèque tiré entre différents établissements d’ un même tireur et à condition que ce chèque ne soit pas au porteur ».
Certains banquiers vont jusqu’à dire : « Après un an et 20 jours, le chèque est prescrit sauf s’il s’agit d’un chèque de banque» ; Grave confusion !
Rappelons que le chèque de banque, parce que la banque qui l’émet cumule les qualités de tireur et de tiré, confère à son bénéficiaire la garantie de l’existence de la provision.
Une question mérite d’être posée : cette garantie de l’existence de la provision est valable uniquement pendant le délai de un an et vingt jours ou bien au-delà ?
A notre avis, si au terme de ce délai la banque « cesse » d’être un tiré, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle cesse pas d’être un tireur ayant l’obligation de payer son chèque.
Et si la banque payait le chèque après un an et vingt (soixante) jours ?
Arrivons maintenant à la question qui fâche : Est-ce que le délai de prescription de un an et vingt (soixante jours) de l’article 295 du code de commerce, concernant l’action du porteur du chèque contre le tiré, laisse subsister l’action du tiré contre le tireur ?
Rappelons qu’aux termes de cet article, le délai de prescription de un an à partir de l’expiration du délai de présentation de vingt ou soixante jours concerne la seule action du porteur du chèque à l’encontre du tiré, en cas de refus de paiement, lequel demeure possible au-delà de ce délai, sans faute de la banque ; la prescription ainsi édictée laisse subsister l’action du tiré contre le tireur et celle du porteur contre le tireur qui n’a pas fait provision.
A notre avis ne commet aucune faute la banque qui paie un chèque présenté à l’encaissement à l’expiration du délai de prescription.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 271 du code de commerce le dit clairement : « Le tiré doit payer même après l’ expiration du délai de présentation ».
Les détracteurs de cette thèse diront : pourquoi un banquier payerait-il un chèque au-delà du délai de prescription de un an (augmenté du délai de présentation), alors que celui-ci est, normalement, définitivement, libéré à l’égard du porteur ?
Ma question est la suivante : La prescription de l’article 295 étant, en effet, une prescription des recours et non pas une sorte de délai de validité dont l’expiration frappe le titre de caducité et du moment que cette prescription n’a pas pour conséquence d’éteindre la créance fondamentale du porteur, pourquoi le rejeter ?
[1] Cour d’Appel de Commerce de Casablanca Arrêt n° 1644 du 13-06-2002 Dossiers 906/2002/3.