On peut considérer sans équivoque que l’industrie aérienne est par excellence une industrie mondialisée. Sa croissance sur les trois dernières décennies le démontre de manière implacable. En ce qui concerne le nombre de passagers par exemple, on est passé de 1 milliards en 1990 à 3,8 milliards prévus à fin 2016, avec de nouveaux pôles de développement en Asie particulièrement. Dans cette dynamique internationale, la stratégie engagée dès 2003 par la Royal Air Maroc est juste et donne déjà des fruits.
La position géographique du Maroc est certes un atout indéniable, porte autant de l’Europe que de l’Afrique. Casablanca, capitale économique, s’est rapidement positionnée comme un hub naturel régional pour l’Afrique subsaharienne. Il faut souligner deux phénomènes parallèles ces dernières décennies ; on a observé un développement significatif du pouvoir d’achat des ressortissants de la diaspora africaine en Europe concomitamment à ce mouvement de démocratisation du transport aérien. La vision africaine du Maroc portée par son souverain et l’amorce de la croissance continue en Afrique ont donné du sens à cet axe de développement stratégique pour la Royal Air Maroc, à une période où le Maroc libéralisait son ciel au profit des compagnies européennes, pour soutenir sa stratégie touristique.
La compagnie marocaine est passée par les mêmes difficultés que ses consœurs dans le monde : compétition accrue et baisse des tarifs, remise en question des modèles économiques, dévalorisations des services de bases sur les moyens courriers, difficultés à maitriser les charges et en particulier le coût du kérosène…. Dans cette vague de turbulence un plan de restructuration et un contrat programme avec l’Etat, son actionnaire de référence ont été mis en œuvre.
La Royal Air Maroc réussit sa restructuration dans une économie en reconstruction, avec une industrie aérienne qui elle-même est en forte recomposition depuis une dizaine d’années. L’Etat marocain a fait le bon choix en soutenant sa compagnie nationale pendant ces turbulences. Le pavillon marocain est stratégique pour diverses raisons :
- La dimension péninsulaire du Maroc avec ses frontières fermées à l’est,
- La nécessité de trouver des relais de croissance avec une exploitation optimale de la flotte,
- L’impératif d’atteindre une taille critique dans cette industrie de « global players »,
- La population des marocains dans le monde qui n’a cessé de grossir,
- L’engagement sociétal du Maroc dans l’industrie touristique avec une forte volonté de maintenir l’ouverture de sa culture au reste du monde…
Aujourd’hui la compagnie continue à ouvrir de nouvelles lignes dans l’espace transatlantique, São Paulo, Rio de Janeiro, Washington, mais aussi africain évidemment, avec de nouvelles lignes telles que Casablanca Nairobi.
La Royal Air Maroc a pris de l’avance sur le marché africain. Elle devrait accélérer sa conquête. La situation géopolitique en méditerranée est désastreuse, et c’est parti pour une longue période. Les compagnies aériennes sont les premières dans ces cas à subir les baisses de trafic.
Dans cette industrie, les rapprochements sont légende, à la recherche de l’effet de taille ou de nouveaux modèles économiques face à de nouveaux modes de consommation. Après les alliances en Europe de Air France – KLM et de British Airways et Iberia, il faut rappeler que Etihad[1] avait acquis Alitalia et Air Berlin et a annoncé la création d’une compagnie de loisirs en association avec le leader TIU, lui-même propriétaire de compagnies low-cost. Qatar Airways exprime déjà son appétit pour la Royal Air Maroc et certainement d’autres compagnies dans cette région de la méditerranée.
Qui sont les acteurs de la région qui peuvent être des concurrents de taille pour la Royal Air Maroc dans sa stratégie, et dans l’espace méditerranéen ? Tunis Air, Egypt Air peut-être, mais certainement Turkish Air.
Si les deux premières peuvent prétendre à des parts de marché mais sans avoir la puissance de la stratégie de la RAM qui a fait de Casablanca un hub depuis plus de dix ans. Turkish Airlines est lui par contre un concurrent redoutable capable d’occuper rapidement le terrain en Afrique.
Potentiels à construire
La région ouest en Afrique du Nord ne compte pas de grandes métropoles mondiales. La croissance du trafic aérien observée en Asie, aux Etats Unis ou encore en Europe a accompagné le déploiement de leurs mégalopoles.
Les principales villes africaines croissent à grande vitesse en termes de population. Elles constituent ainsi une opportunité. La mobilité des populations est en croissance aussi.
L’Afrique des convoitises
Les autres compagnies sont présentes en Afrique subsaharienne.
Turkish Airlines qui est devenu un global player de longs courriers, est passée de 14,1 millions de passagers en 2005 à 61,2 millions en 2015[2]. Sa croissance ces cinq dernières années était à 2 chiffres entre 12 et 23% par an.
Sa flotte est à 334 appareils aujourd’hui. La compagnie turque dessert 58 aéroports dans 41 pays en Afrique. La compagnie turque a transporté quelques 58,2 millions de passagers à fin novembre 2016.
La situation géopolitique de la Turquie fera certainement que la croissance ne sera pas à 2 chiffres cette année. La Turquie a subi de nombreux évènements liés à sa région, guerre en Syrie, proximité de l’Etat Islamique, attentats à Ankara et Istanbul, tentative de coup d’état en Juillet 2016. Son industrie touristique, souvent préservée malgré les nombreuses crises, subit actuellement une baisse indéniable.
Dans cette situation, Turkish Airlines dont la notoriété est mondiale et la puissance commerciale est avérée, cherchera de nouveaux relais d’activité en attendant des jours meilleurs sur son marché domestique. Elle cherchera à conforter sa stratégie de hub de longs courriers. Et l’Afrique sera un de ses terrains de déploiement en complément de l’Asie, pour l’Europe, plus grand marché émetteur dans cette partie du monde.
Dans ce contexte, la stratégie de hub devra être confortée, consolidée dans une stratégie africaine plus forte et dont le déploiement doit être rythmé. La Royal Air Maroc, qui bénéficie certes de sa proximité avec l’Europe de l’ouest devra, comme les autres compagnies régionales africaines, renforcer la qualité de son offre dans son réseau.
L’Etat marocain devra prendre en compte cette dynamique, affirmer l’ambition et donner à la compagnie marocaine les moyens de se développer et accroitre ses parts de marché dans cette région du monde.
[1] http://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/0211568103028-etihad-et-tui-sallient-pour-former-une-nouvelle-compagnie-low-cost-europeenne-2048455.php
[2] Rapport annuel Turkish Airlines