L’impôt est l’un des fondements de l’Etat démocratique. Toutes les personnes (physiques ou morales) qui vivent ou opèrent dans un Etat doivent participer de façon équitable au financement des biens collectifs et des charges communes.
L’entreprise pour sa part, au-delà de ses missions économique (création de la valeur ajoutée) et sociale (emploi de personnel), a une mission citoyenne qui consiste à supporter une part des charges publiques dont elle profite d’ailleurs (infrastructure routière, portuaire et aéroportuaire ; écoles et instituts pour la formation de main-d’œuvre qualifiée; etc.). Pour autant, remplit-elle cette mission citoyenne comme il se doit, s’acquitte-t-elle convenablement de ses obligations fiscales ? La pratique des affaires le dément hélas et les statistiques officielles corroborent cette malencontreuse réalité. En effet, au Maroc, 2% seulement de l’effectif des personnes morales contribue pour 80% de l’impôt sur les sociétés (IS) et 60% d’entre elles déclarent un résultat déficitaire et ne paient que la cotisation minimale (CM). Quant aux entreprises individuelles, commerçants et professions libérales qui doivent l’impôt sur le revenu (IR), ils ne participent ensemble que pour 25% de cet impôt qui reste supporté par les employés à raison de 75% grâce à la retenue à la source sur leurs salaires avant même qu’ils ne les perçoivent. Heureusement que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est supportée par le consommateur final qui en est le redevable effectif ; encore faut-il s’assurer que l’entreprise (redevable légal) qui la prélève en sus du prix de vente hors taxe, la verse au Trésor public, ce qui n’est pas toujours évident !
Cette situation est d’autant plus dommageable que les exonérations et autres réductions d’impôt, qu’on appelle « dépenses fiscales », sont accordées à certains secteurs d’activité au détriment d’autres et ont démontré leurs limites quant à leur impact sur la performance des secteurs encouragés et, par ricochet, sur la croissance économique.
Ce tableau s’assombrit plus si on y ajoute les activités informelles non déclarées (30% du produit intérieur brut d’après certains rapports non officiels) qui concurrencent les petites et moyennes entreprises organisées et ne contribuent en rien ou peu au financement des dépenses publiques.
Dans les pays développés en général, qualifiés de civilisés, et plus particulièrement dans certains états d’Amérique du nord ainsi que dans les pays scandinaves, est considérée comme traitre vis-à-vis de la communauté et poursuivie pénalement toute personne, physique ou morale, ayant enfreint volontairement la loi fiscale et ayant fraudé l’impôt. Ne lit-on pas de temps à autre que telle personne publique dans tel pays a été incarcérée pour fraude fiscale ou encore que tel gouvernement dans tel autre pays a été destitué ou contraint à la démission pour cause de corruption ?
C’est vrai que le contexte nord-américain ou européen n’est pas le contexte marocain. Dans ces pays, les contribuables s’acquittent de leurs impôts et reçoivent en retour des services publics de qualité. Ce qui n’est point le cas au Maroc où les contribuables justifient l’inobservation de leurs obligations fiscales, entre autres, par la défaillance des services publics.
Ce leitmotiv n’est pas pour autant un argument valable pour esquiver le paiement des impôts ou s’en dérober. Payer sa dette fiscale vis-à-vis du Trésor public à l’échéance légale reste un acte hautement civique qui participe à la promotion de la démocratie et à son renforcement. La dernière Constitution du Maroc de 2011 ne stipule-t-elle pas dans son article 39 que « tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut (…) créer et répartir» ? D’autant plus que notre système fiscal est déclaratif et repose sur les paiements spontanés.
Quant à la qualité des services publics, il revient aux politiques et aux élus qui endossent la charge d’autoriser la répartition des dépenses publiques d’assumer leurs responsabilités. Les élections sont un moment propice pour les accréditer ou les sanctionner. La démocratie se construit ; elle ne se décrète pas.
C’est pour dire que si la relation de l’entreprise vis-à-vis de la fiscalité est certes une relation d’argent, elle est surtout d’ordre éthique, d’appartenance à un groupe, d’adhésion à un projet sociétal. Elle interpelle l’intégrité morale et la probité intellectuelle des dirigeants d’entreprises, leur conscience du fait que leur entité agit dans un environnement qui doit évoluer socialement et émerger économiquement et s’épanouir politiquement.
Cela n’exonère en rien l’administration fiscale qui doit vérifier régulièrement la sincérité des déclarations spontanées des entreprises et l’exactitude des montants qu’elles versent au Trésor public. Confiance ne dispense pas de contrôle, dit-on. Et en l’occurrence le contrôle fiscal a, en tant que corollaire du système déclaratif, un rôle pédagogique non négligeable pouvant promouvoir la régularité et la transparence. Si les entreprises sont persuadées qu’elles sont suivies par l’administration fiscale, elles s’acquitteront régulièrement et convenablement leurs obligations fiscales.
Pour autant l’administration fiscale use-t-elle de son droit de contrôle, de façon efficiente et efficace, pour rappeler à l’ordre les entreprises défaillantes et les récalcitrantes ? Entreprend-elle des actions idoines visant l’élargissement de l’assiette par l’appréhension et la fiscalisation des activités informelles ? Que non car elle pâtit d’un déficit de moyens humains et surtout d’un manque d’organisation.
Or, toute politique requiert des moyens et la démocratie est d’abord, et avant tout, une affaire d’organisation.