Lorsque le débiteur n’est pas en mesure de payer ses dettes à leur échéance, la plupart des systèmes juridiques prévoient un mécanisme pour répondre à la satisfaction collective des créances impayées des actifs de ce dernier.
Un éventail d’intérêts doit être accueilli par ce mécanisme juridique : ceux des parties concernées par la procédure, y compris le débiteur, les associés, les créanciers à des degrés divers (organismes fiscaux et autres créanciers publics inclus), les salariés et les fournisseurs.
En général, le mécanisme doit trouver un équilibre non seulement entre les différents intérêts souvent divergents de ces acteurs, mais aussi entre ces intérêts et les considérations sociales et politiques ayant un impact sur les objectifs économiques et juridiques de la procédure de traitement des difficultés de l’entreprise.
La plupart des systèmes juridiques prévoient différents types de procédure pouvant être engagées pour résoudre les difficultés du débiteur.
Tout en considérant cette résolution comme un objectif commun, ces procédures prennent plusieurs formes, pour lesquelles la terminologie uniforme n’est pas toujours utilisée. Afin d’établir et de développer une loi sur les difficultés de l’entreprise efficace, les objectifs suivants devraient être considérés :
– Sécuriser le marché pour promouvoir la stabilité économique et la croissance ;
– Maximiser la valeur des actifs ;
– Établir un équilibre entre liquidation et redressement ;
– Assurer un traitement équitable des créanciers se trouvant dans la même situation ;
– Prévoir un règlement rapide, efficace et impartial ;
– Préserver l’actif pour permettre une répartition équitable entre les créanciers ;
– Reconnaître les droits des créanciers existants et établir des règles claires pour classer les créances prioritaires.
Il est à préciser que deux principaux types de procédures sont communs à la plupart des lois sur les difficultés de l’entreprise : le redressement et la liquidation. La distinction traditionnelle entre ces deux types de procédures peut être un peu artificielle et peut créer une polarisation et une rigidité inutiles.
Ne sont pas pris en compte, par exemple, les cas qui ne sont manifestement pas situés dans leurs familles respectives, les cas où une approche flexible de la situation financière du débiteur est susceptible de réaliser le meilleur résultat pour le débiteur et les créanciers en termes de maximisation de la valeur de la masse active. Par exemple, le terme « redressement » est parfois utilisé pour désigner une façon particulière d’assurer la préservation et la possible amélioration de la valeur de l’actif dans le cadre d’une procédure de liquidation, notamment lorsque la loi prévoit qu’une liquidation doit être effectuée par transfert de l’activité à une autre entité en tant qu’entreprise (Cession). Pour parvenir à une telle cession, la loi peut avoir besoin d’inclure une dose de flexibilité qui n’est pas toujours possible dans les lois définissant la liquidation comme une vente d’actifs, et de permettre à l’entreprise d’être sauvée uniquement à cette fin.
Pour ces raisons, il est souhaitable qu’une loi prévoie un éventail d’options autres que le redressement et la liquidation strictement traditionnelle. Comme le concept de redressement peut recevoir une variété de connotations, il est souhaitable qu’une la loi adopte une approche non normative et soutienne des arrangements permettant d’atteindre un résultat plus sûr et plus sécurisant pour les créanciers autrement que si le débiteur avait été liquidé. En effet, les procédures collectives sont conçues pour donner au débiteur une chance afin de se remettre de ses problèmes de liquidités temporaires ou son surendettement permanent et, le cas échéant, lui donner l’occasion de restructurer sa dette et surtout ses relations avec les créanciers. Dans la mesure où le redressement est possible, il est préférable de continuer l’exploitation de l’entreprise afin d’améliorer la valeur de ses créances.
Bien que le redressement n’implique pas que tous les intervenants soient entièrement protégés ou qu’ils aient pu préserver leurs positions respectives, l’exploitation peut disparaître, les intérêts des associés peuvent être réduits à néant, les salariés peuvent être licenciés et le marché pour les fournisseurs risque de disparaître.
Mais en général, les créanciers finiront par recevoir davantage que si le débiteur devait être liquidé. Parmi les autres facteurs favorisant le redressement, notons la préservation des ressources humaines et des relations d’affaires.
En outre, l’avantage économique à long terme est plus susceptible d’être atteint par la procédure de redressement, car elle pousse les débiteurs à prendre des mesures avant que leurs difficultés financières ne s’aggravent.
À contrario, la « liquidation » prévoit qu’une autorité publique prenne en charge les biens du débiteur, en vue de mettre fin à son activité, en transformant ses actifs non monétaires en trésorerie et de répartir le produit de la vente entre les créanciers. Il y a, en effet, un certain nombre de justifications juridiques et économiques de la liquidation. D’une manière générale, on peut affirmer qu’une entreprise incapable de supporter la concurrence dans une économie de marché doit être retirée de ce marché. Plus précisément, la nécessité d’une procédure de liquidation peut être considérée comme la résolution des problèmes entre créanciers. Lorsque les actifs d’un débiteur ne sont pas suffisants pour répondre aux réclamations de tous les créanciers, il sera dans l’intérêt d’un créancier de prendre des mesures appropriées pour recouvrer sa créance avant que les autres créanciers ne le fassent. Une procédure collective ordonnée et efficace entre créanciers cherchera à éviter les actions qui, individuellement vues par les créanciers comme étant dans leur propre intérêt, conduisent inéluctablement à la perte de valeur pour tous les créanciers.
Le cas de la SAMIR, dans le contexte marocain, nous en livre un docte témoignage.
I/ Les possibilités de redressement
Analysons tour à tour les différentes options possibles.
A/ Les propositions des actionnaires dans le cadre d’un plan de redressement
Mohamed El Amoudi, principal actionnaire de la SAMIR, avait, le 11 mai 2016, promis d’injecter 680 millions de dollars au capital de la Samir dans le cas où le tribunal prononçait sa mise en redressement judiciaire. La cour n’a visiblement pas cru à cette nouvelle promesse. Mohamed El Amoudi avait déjà promis une augmentation de capital d’un milliard de dollars en octobre 2015 sans jamais verser les fonds sur le compte de la société marocaine.
Les sociétés de trading Glencore et la Socar, deux de ses fournisseurs, seraient prêts à livrer la raffinerie en matières premières à des conditions commerciales favorables. La Samir estime pouvoir ramener ainsi dans ses caisses 2 milliards de dirhams par an dans les prochaines années. Ce qui sera insuffisant, toutefois, pour faire face à ses dettes.
En parallèle, la société annonce à nouveau, après être donc revenue sur ses engagements initiaux de 2015, être prête à réaliser une augmentation de capital.
Mohamed Al Amoudi avait promis d’injecter 4 milliards de dirhams en 2016 (1 milliard de dirhams en avril, un autre milliard de dirhams un mois plus tard et 2 milliards de dirhams en juin) et 2 milliards de dirhams en 2019.
En plus de la remise en service de la Samir et de 4 milliards de dirhams d’argent frais, le plan de redressement prévoit également de rembourser certaines dettes échues via un nouvel emprunt obligataire de 2 milliards de dirhams en juin 2019 et de conserver des facilités bancaires pour 4,4 milliards de dirhams et des lignes de préfinancement de 3,5 milliards de dirhams.
Marsa Maroc et l’Agence Nationale des Ports réclament le versement immédiat de la moitié de la dette de la Samir, soit respectivement 22,6 millions et 9,5 millions de dirhams, et le règlement du reliquat dans les 6 mois suivants.
Seule la douane exige que l’apport en capital promis de 1 milliard de dollars soit concrétisé avant de réaliser tout rééchelonnement de la dette.
A tous ses nombreux autres créanciers, la Samir propose un étalement des dettes sur plusieurs années, sans présenter, visiblement, de véritable garantie.
B/ La reconversion des dettes (debt equity swaps)
Certains créanciers de la SAMIR réfléchissent à convertir leurs dettes en valeurs mobilières. Cette opération exige de mettre sur pied un montage financier et juridique très sophistiqué.
Pour que cette solution aboutisse, une concertation avec les autres créanciers est nécessaire afin de lancer une action collective.
La reconversion de la dette ne sera possible que si elle s’inscrit dans une vision globale menée par un chef de fil industriel maîtrisant le métier.
En tout cas, beaucoup de créanciers ont manifesté leur disposition à franchir le pas lors des auditions tenues auprès de la Cour d’appel de commerce de Casablanca.
C/ Le gouvernement renationalise la Samir
Plusieurs déclarations publiques vont dans ce sens. « La privatisation de la Samir a été une erreur », a déclaré le chef du gouvernement devant la Chambre des Conseillers, le 13 janvier 2016. « La liquidation judiciaire de la Samir, ne veut en aucun cas dire fermeture de la raffinerie ». Il y aurait peut-être un autre repreneur, Etat ou entreprise », a déclaré, le 22 mars 2016, le gouverneur de Bank Al Maghrib.
Mais pour autant, cette renationalisation est peu probable parce que la stabilité des équilibres macro-économiques est précieuse. La loi de Finance 2016 a réduit le déficit budgétaire à moins de 4% du PIB.
II/ La liquidation judiciaire de la Samir
Cette solution semble une des plus probables. Dans ce cas, ses 23 milliards de dirhams d’actifs seront vendus aux enchères.
Mais, la raffinerie elle-même est restée beaucoup trop longtemps à l’arrêt. Le coût pour la faire redémarrer est exorbitant. Il était de 350 millions de dirhams en septembre, il a pu doubler entre temps.
Trois cas de figure se dessineraient alors :
A) Une entreprise nationale rachète la centrale de raffinage aux enchères
Dans ce cas, le repreneur tout désigné pourrait être le Groupe Akwa. Il possède la société de distribution de carburants Afriquia. « Reprendre cette activité, lui permettrait de gagner la marge de raffinage en plus de celle de l’intermédiation ».
« La reprise par une entreprise marocaine pourrait s’accompagner d’une participation de l’État ». L’Etat, faute de renationaliser, pourrait reconvertir sa dette (13 milliards de dirhams) en actions.
B) Une entreprise étrangère rachète la centrale de raffinage
Le nom de Total, présent au Maroc dans la distribution a circulé un moment, mais ce n’est pas l’option privilégiée et Total Maroc l’a récemment écarté.
Et, même si le gouvernement cherchait un repreneur étranger, il aurait du mal à le trouver. Toutes les grandes entreprises internationales pétrolières sont en difficulté à cause de la baisse des cours du pétrole.
C) La centrale de raffinage est vendue à la casse
Trop coûteuse à redémarrer, voire vétuste, l’usine pourrait être abandonnée. « L’État pourra laisser mourir le site et construire une nouvelle raffinerie. Le ministre de l’Énergie avait d’ailleurs déjà évoqué la possibilité de construire une autre raffinerie sur le site de Jorf Lasfar avec un investisseur émirati en partenariat avec un distributeur local, comme Afriquia. Une opération possible mais extrêmement coûteuse.
Pour motiver une société à faire cet effort, l’investissement devra être rentable et l’État marocain devra offrir des garanties.
La SAMIR sera-t-elle redressée ou liquidée ? les jours à venir nous le diront.