Le célèbre cabinet comptable américain Eisner Amper a publié en 2014 l’étude « Concerns About Risks – Confronting Boards Fifth Annual Board of Directors Survey ». Il ressort de cette étude que les patrons d’entreprises aux Etats Unis placent la réputation en tête de leurs préoccupations stratégiques. Réalisé au printemps 2014, un autre rapport établi, à l’échelle mondiale, par le Cabinet Deloitte indique que la réputation est désormais citée comme « la zone de risque la plus sensible pouvant affecter la performance et la stratégie d’une société ».
Si la réputation tient ainsi le haut de l’affiche, c’est parce qu’elle constitue un actif stratégique, source de création de valeur et un élément clé qui contribue à la création d’un avantage compétitif pour l’entreprise. C’est un capital intangible, immatériel qui se construit dans la durée et qui agrège l’ensemble des opinions et évaluations, favorables ou défavorables, exprimées sur l’entreprise par différents publics.
A côté de la réputation classique, et face à l’émergence du web 2.0 et la digitalisation croissante de l’environnement de l’entreprise, celle-ci doit désormais composer avec l’apparition de nouveaux outils qui permettent aux internautes d’évaluer l’entreprise, ses produits, ses tarifs, son service après-vente, sa publicité et son image. Aucune entreprise n’est aujourd’hui à l’abri d’un « bad buzz » qui peut avoir des effets parfois dévastateurs sur sa réputation. Lorsque cela arrive, la trace dans l’opinion publique et sur internet est presque indélébile. De nouveaux enjeux de réputation ont émergé ainsi avec la toile. Jeff Bezos, Président d’Amazon nous prévenait: « Si vous rendez vos clients mécontents dans le monde réel, ils sont susceptibles d’en parler chacun à six amis. Sur Internet, vos clients mécontents peuvent en parler chacun à 6 000 amis. ».
Si la réputation s’acquiert au terme d’un travail de fond et dans la durée, la survenance de certains risques encourus par l’entreprise peut la fragiliser ou l’entacher gravement et parfois du jour au lendemain. Le cas du cabinet Arthur Andersen, géant mondial de l’expertise comptable est, à cet égard, très éloquent. On peut multiplier les cas d’autres affaires à fort retentissement médiatique : Total Fina et le naufrage de l’Erika (1999), la crise chez Toyota avec le rappel de 8 millions de voitures (2010), l’explosion d’une plateforme pétrolière de BP au large de la Louisiane (2010) et plus récemment la crise de Volkswagen après la révélation de sa tricherie sur les tests d’émissions polluantes de ses véhicules diesel (2015).
Le risque juridique fait partie des risques dont la survenance peut affecter de manière durable la réputation d’une entreprise. La manifestation du risque juridique, parfois au plan judiciaire, dans certains cas, à grand renfort médiatique, peut porter un grand préjudice à la réputation de l’entreprise et entacher de manière durable son image auprès de ses publics.
La maîtrise des risques et enjeux juridiques associés aux activités de l’entreprise revêt un caractère stratégique. Ces risques sont multiples : ils sont liés aux actes de gestion, aux contrats, à la santé et à la sécurité des salariés, aux relations avec les clients et fournisseurs, autant de domaines où la responsabilité de l’entreprise peut être mise en cause.
Le dirigeant de l’entreprise peut, lui aussi, voir sa responsabilité mise en jeu suite à la survenance d’un risque juridique. Etant au cœur de la vie sociale, financière et administrative de sa société, chaque jour, dans l’exercice de ses fonctions de dirigeant, sa responsabilité personnelle peut être engagée par ses associés, ses salariés, ses fournisseurs ou sous-traitants ou tout tiers ayant subi un préjudice suite à une faute de gestion ou de droit, une omission, une irrégularité ou une négligence.
Aux risques juridiques liées aux règles édictées par le droit positif (droit commercial, droit du travail, droit des obligations et contrats, …) s’ajoutent les risques réglementaires et éthiques. L’entreprise fait face à un environnement évolutif et complexe, des parties prenantes de plus en plus exigeantes et des autorités de contrôle et de régulation avec des pouvoirs quasi juridictionnels (Cour des Comptes ou institutions parlementaires pour les entreprises publiques, Conseil de la concurrence, la Haute Autorité de l’Audiovisuel, l’Agence Nationale de Règlement des Télécommunications, etc.).
Par ailleurs, si l’entreprise doit observer la hard law (ensemble de règles juridiques relevant du droit positif) elle doit également se conformer à la soft law (règles que l’entreprise adopte délibérément notamment dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale) et qui peut se traduire par des référentiels, des chartes ou des guides déontologiques où l’entreprise se crée, volontairement, des engagements vis-à-vis de ses parties prenantes.
Le risque juridique est omniprésent. Il peut survenir à tout moment et entraîner des conséquences lourdes sur la réputation de l’entreprise et celle de ses dirigeants. D’où l’importance pour toute entreprise de mettre en place une politique de gestion du risque juridique.
Dans ce cadre, on constate, au niveau des grands groupes marocains, que des outils de contrôle et de vigilance, développés dans les pays anglo-saxons, tels que la Corporate Governance ou encore les programmes de Compliance Management, débarquent dans les « boards ». Mais une bonne maîtrise de la gestion des risques juridiques nécessite d’abord leur identification. C’est l’objet de plusieurs instruments parmi lesquels la cartographie des risques qui offre une vision globale et hiérarchisée de ces risques. Le management du risque juridique peut d’ailleurs s’inscrire dans une démarche globale de gestion des risques encourus par l’entreprise.
Pour les risques contractuels, leur gestion peut se déployer à travers un management dynamique des contrats, avec une base de données ou sont répertoriés les engagements contractuels souscrits par l’entreprise et les obligations qui en découlent, présentés selon l’échéancier de leur exécution. Cette approche permet d’avoir une vision complète et exacte des engagements de l’entreprise et d’informer, de manière fiable et rapidement, les fonctions et structures de la société concernées par les contrats de l’entreprise. On assiste d’ailleurs à l’émergence de la fonction « Contract Manager », orientée vers l’anticipation et le management des risques issus des engagements contractuels de l’entreprise.
La gestion proactive du contentieux, en demande ou en défense, est un autre levier de management du risque juridique. Il s’agit d’adopter une stratégie contentieuse qui se prépare très en amont, au stade de la rédaction des contrats en balisant les sujets potentiellement litigieux. Cela permet d’éviter l’émergence d’un différend ou, du moins, d’en favoriser la résolution à un stade très préliminaire et de permettre la continuation du partenariat contractuel.
Sur un plan de gestion, l’entreprise peut prévenir des recours de tiers et notamment des consommateurs en prévenant les risques de préjudice que ses produits peuvent éventuellement causer à ses clients. Une veille permanente, un recensement des réclamations ou des interrogations des clients sont des outils efficaces pour se prémunir contre des mises en cause pouvant conduire à une condamnation de l’entreprise. Un outil CRM peut être très utile à cette démarche.
Lorsque, malgré des actions d’anticipation le conflit se déclenche, il est important de privilégier le recours aux MARC (modes alternatifs de règlement des conflits), tels que la médiation, la conciliation ou la transaction, et de saisir les opportunités que ces procédures non-juridictionnelles offrent pour le maintien des relations commerciales avec les partenaires. Ces modes de règlement, qui sont depuis longtemps parfaitement entrés dans les stratégies contentieuses des entreprises aux USA ou au Royaume-Uni, permettent également s’adapter à la célérité qu’exige le monde des affaires, le recours aux tribunaux étant généralement très couteux pour une entreprise en termes de temps: au Maroc, il fait en moyenne plus de 600 jours pour résoudre un conflit commercial par la voie judiciaire. De plus, la voie juridictionnelle étatique met fin au différend judiciaire mais pas au conflit qui peut même s’aggraver avec des effets négatifs sur la qualité des relations d’affaires.
Une bonne gestion des risques juridiques implique également le suivi par l’entreprise de l’évolution de son environnement législatif et réglementaire à travers un dispositif de veille. Ceci lui évite de découvrir, parfois tardivement, que les fondamentaux de son business, de ses produits ou de sa stratégie sont à modifier suite à un changement des lois ou règlements applicables (nouvelles contraintes de sécurité ou d’hygiène, nouvelles contraintes dans les contrats avec les clients, nouvelles normes sociales, etc.).
L’entreprise a besoin d’une sécurité juridique pour fonctionner, se développer et prospérer. Elle a également besoin de préserver, en permanence, ses intérêts, sécuriser ses activités et protéger sa réputation. Elle peut y arriver en mettant en place un dispositif de gouvernance, en établissant un état des lieux actualisé des vulnérabilités juridiques et des zones à risques, en capitalisant sur les retours d’expérience (heureux ou malheureux) et en désamorçant les conflits en amont. Le manque de vigilance et l’absence de dispositif de management des risques juridiques peuvent avoir un impact négatif sur les intérêts de l’entreprise, de ses salariés, de ses dirigeants et affecter durablement sa réputation.