Les sociétés n’ayant pas leur siège social au Maroc et n’y disposant d’aucun établissement peuvent y avoir le statut fiscal d’« établissement stable ». C’est le cas, par exemple, lorsqu’une société de droit étranger entreprend de manière ponctuelle les opérations nécessaires à la livraison d’un ouvrage déterminé pour le compte d’un client établi au Maroc, dans des conditions spécifiques visées par les dispositions de droit interne et de droit international.
Le régime de l’établissement stable se caractérise, au plan fiscal, par l’obligation d’observer toutes les mesures qui incombent aux sociétés de droit marocain placées dans la même situation. De ce fait, sauf si elle décide d’opter pour un régime forfaitaire prévu par les dispositions de l’article 19-III-A du code général des impôts, la société étrangère concernée doit, notamment, tenir une comptabilité détaillée sur des registres côtés et paraphés et acquitter les impôts et taxes en vigueur dans les conditions de droit commun.
Habituellement, les sociétés étrangères demandent leur radiation auprès des services de l’administration fiscale dont ils relèvent après la livraison définitive de l’ouvrage objet du Marché signé au Maroc. Mais cette formalité ne constitue pas une décision volontaire de cessation d’activité, au sens que le droit des affaires et les usages en la matière, donnent à cette expression. Il s’agit plutôt d’une « étape naturelle » comprise dans l’intervention de la société étrangère au Maroc. Pourtant cet évènement peut être lourd de conséquences.
Selon les dispositions légales en vigueur, l’administration fiscale a le droit de vérifier les comptes des contribuables. Ces mesures sont instituées par les articles 219, 220 et 221 du code général des impôts.
L’article 221 nous intéresse particulièrement car il prévoit une « procédure accélérée » de vérification applicable en cas de « cession, cessation totale, redressement, liquidation judiciaire ou transformation de la forme juridique d’une entreprise entraînant, son exclusion du domaine de l’impôt sur les sociétés ».
Il est important de souligner que les procédures normale (article 220 – CGI) et accélérée (article 221 – CGI) sont identiques.
Le contribuable doit répondre à une première notification émise dans les six(6) mois qui suivent la vérification des déclarations de résultat fiscal, dans un délai ne dépassant pas trente(30) jours.
Les services de l’administration fiscale émettent une seconde notification qui doit prendre en considération les observations du contribuable, dans un délai de soixante (60) jours suivant la date de la réception de la réponse.
Après la réception de cette seconde notification, si le contribuable n’est toujours pas en accord avec les redressements proposés, il doit obligatoirement formuler un pourvoi devant la « commission locale de taxation » dont la composition et le mode de fonctionnement ont été précisés par la loi.
Le dernier recours en matière de procédure de vérification est constitué par le pourvoi devant la « commission nationale du recours fiscal » et, le cas échéant, le tribunal administratif.
Par ailleurs, le contribuable qui fait l’objet de la procédure accélérée doit acquitter le montant de l’impôt relatif aux redressements proposés par l’administration lors du pourvoi devant la commission locale de taxation.
Il est clair que cette particularité se justifie par le fait que l’administration souhaite se prémunir contre une éventuelle « disparition » du contribuable vérifié ou, du moins, les difficultés qu’elle pourrait rencontrer pour communiquer avec lui.
Selon l’expérience que nous avons pu acquérir en matière de litige fiscal, les sociétés étrangères faisant l’objet d’une vérification sont toutes traitées dans le cadre légal de l’article 221 de la procédure accélérée. Autrement dit, l’administration assimile l’acte de livrer le bien objet du Marché par la société non établie au Maroc à une cessation définitive de son activité.
Cette interprétation pourrait paraître légitime si l’on raisonne dans un contexte exclusivement marocain. La société étrangère, bien entendu, n’a pas cessé son activité mais elle a terminé une opération ponctuelle au Maroc et pourrait ne jamais avoir à y intervenir de nouveau.
Néanmoins, dans l’étude de cette question importante, nous devons tenir compte du contexte juridique initial, celui qui a permis de placer l’entreprise étrangère dans une situation d’établissement stable. Ce contexte est composé de dispositions de droit international, notamment celles des nombreuses conventions signées par le Maroc et d’autres États en vue d’éviter la double imposition. Il est évident que la notion d’établissement stable ne constitue, en fait, qu’une sorte de « fiction » qui permet à un État d’appréhender des revenus imposables perçus par une entreprise établi en dehors de son territoire.
L’une des dispositions du droit international qui prend sa source dans le texte de la convention « modèle O.C.D.E. » complète cette analyse.
« Les nationaux d’un Etat contractant ne sont soumis dans l’autre Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre Etat contractant qui se trouvent dans la même situation….. »
Or les conditions citées ci-dessus qui entraînent l’application de la procédure accélérée sont toutes réglementées par notre droit interne. Pourrait-on les utiliser dans le cas d’une société étrangère en situation d’établissement stable sans se retrouver en conflit avec le droit international ?
L’assimilation dont il s’agit est aussi critiquable en raison du fait que les sociétés étrangères placées en situation d’établissement stable entreprennent au Maroc des activités « balisées » qui se caractérisent par des marges assez faibles. Il est très peu probable que les sociétés étrangères qui ont conclu des Marchés importants comme la construction d’autoroutes, ponts ou aéroports aient pu finir l’ouvrage avec un profit net dépassant 10% du prix global. Or certaines vérifications ont abouti à des redressements démesurés.
Par conséquent, compte tenu de ce contexte, le fait de demander le paiement de l’impôt relatif à ces redressements avant la fin de la procédure de vérification (commission nationale du recours fiscal) prive les contribuables concernés des recours légaux. Certes, l’administration fiscale serait tenue de procéder au remboursement des montants payés après l’annulation des redressements par l’une des commissions ou un juge, mais le caractère aléatoire du remboursement et, surtout, le temps qui se sera écoulé plaident pour une réforme de cette législation.
Le droit interne propose une imposition forfaitaire au taux de 8% applicable au montant du Marché qui dispenserait la société étrangère des obligations comptables et, donc, de toute procédure de vérification mais, pour les raisons rappelées ci-dessus, cette option a été jugée coûteuse par la plupart des opérateurs.