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Réforme du Code du Travail, des discussions difficiles entre partenaires sociaux !

Réforme du Code du Travail, des discussions difficiles entre partenaires sociaux !

Quel est l’état d’avancement de la réforme du Code du Travail annoncée en 2017 par le gouvernement ?

Il serait utile, afin d’apporter un éclairage suffisant à cette importante question tout en la plaçant dans un contexte global, de rappeler l’historique de notre législation du travail.

1. Historique de la législation marocaine du travail

1.1. Avant l’année 2003

Avant la promulgation du Code du Travail en vigueur actuellement (Dahir n° 1-03-194 11 septembre 2003, portant promulgation de la loi n° 65-99 relative au Code du Travail), toutes les questions liées à la législation du travail étaient régies par les dispositions des articles 723 à 780 du Dahir formant Code des Obligations et Contrats[1] institué en 1913. Ces articles forment le chapitre II du D.O.C. – « Du Louage d’Ouvrages et du Louage de Services ».

Ce Dahir, plus que centenaire, demeure entièrement en vigueur et constitue les règles générales de notre droit. Le Code du Travail contient des dispositions qui renvoient à ces règles générales. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit des définir les règles de base relative à la validation du contrat de travail (consentement, capacité et objet).

 1.2. La réforme du droit du travail de l’année 2003

Le gouvernement a proposé au parlement en 2003 un important projet en vue de codifier les relations de travail entre les employeurs et leurs salariés. Le Code du Travail a été adopté après de longues discussions entre les parties prenantes, notamment les employeurs, représentés principalement par la C.G.E.M.[2], et les salariés représentés par les syndicats[3], sachant que de manière habituelle les positions de ces partenaires sociaux ne sont pas toujours convergentes. Les premiers revendiquent souplesse et flexibilité dans les relations contractuelles de travail, tandis que leurs interlocuteurs plaident pour un renforcement de la protection des droits des salariés, afin d’éviter toute précarité directe ou indirecte de l’emploi.

Il est très important de souligner, à ce titre, que les dispositions du droit social sont parmi les plus sensibles à l’évolution du milieu dans lesquelles elles évoluent et aux situations qu’elles doivent régir. Notre société, de manière générale, et l’entreprise tout particulièrement, ont connu des changements fondamentaux rendant « obsolètes » plusieurs dispositions du droit toutes disciplines confondues. C’est probablement la raison pour laquelle plusieurs dispositions du Code du Travail ont été appliquées dans des situations conflictuelles, notamment celles qui concernent la durée du contrat de travail et le licenciement. Ceci a toujours provoqué des commentaires parfois acerbes de la part de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux.

L’un des plus inattendus et non moins pertinent a été celui de madame Malika Benzahir, Présidente de la Chambre Sociale de la Cour de cassation[4]. Elle souligne, par exemple, « que le Code du Travail est plein de lacunes qui rendent difficile la mission des juges », « que la règle de droit est générale et abstraite et qu’on ne peut l’appliquer à tous les litiges ». Elle appelle à une meilleure application du travail temporaire, le télétravail et…le contrat à durée déterminé ».

Ces remarques et bien d’autres montrent la nécessité, sinon d’une réforme totale et entière du Code du Travail, du moins d’une meilleure application de ce droit. Au plan institutionnel, cette nécessité pourrait être prise en charge par l’outil règlementaire car le législateur a pris le soin de réserver des domaines d’interventions au gouvernement. Ce dernier n’avait jamais jugé utile d’agir par décret, sauf dans certains domaines précis comme le salaire minimum, la formation professionnelle, l’hygiène et la sécurité ou d’autres questions de pure forme, jusqu’à la crise sanitaire que nous vivons actuellement !

2. L’état du droit du travail en situation de crise majeure

C’est toujours dans des situations inhabituelles, notamment celles des crises que l’efficacité des règles de droit peut être évaluée. En matière de droit du travail, les situations de plein emploi, de prospérité économique et d’abondance se caractérisent par l’absence ou la rareté des conflits sociaux. Avons-nous vécu de telles périodes ? Ce n’est pas si sûr car l’environnement de l’entreprise marocaine a toujours été difficile à affronter.

La crise que nous vivons depuis le mois de mars 2020 a mis à rude épreuve, notre pays, notre société, nos citoyens, nos entreprises et notre droit !

2.1. Crise sanitaire majeure du Coronavirus et droit du travail

J’ai eu le plaisir d’intervenir dans le cadre des cycles de conférences « les essentiels du management » organisés par notre École au mois de mai 2020, au début de cette crise, quelques jours seulement après le confinement total du pays. J’avais proposé une réflexion sur la question de savoir si le droit de l’entreprise était capable de traverser les crises majeures sans difficulté. Le droit social avait fait partie de cette réflexion et il s’est avéré que de sérieux doutes pouvaient être exprimés à propos du droit de la sécurité sociale et que le droit du travail, au lieu d’être complètement réformé, devait peut-être se contenter d’une meilleure application. Nous ne croyions pas si bien dire car notre gouvernement a démontré la pertinence de ces propos à travers des actions concrètes durant a crise.

En voici quelques exemples :

Article 16 Code du Travail

« Le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu dans certains secteurs et dans certains cas exceptionnels fixés par voie réglementaire après avis des organisations professionnelles des employeurs et des organisations syndicales des salariés les plus représentatives ou en vertu d’une convention collective de travail ».

Lorsque j’ai évoqué ces dispositions avant cette crise majeure, j’ai toujours insisté sur le « flou » qui les entoure et me suis permis de préciser que ces « secteurs et cas exceptionnels » devaient probablement correspondre à des périodes durant lesquelles les entreprises manquent de visibilité pour recruter sous contrat à durée indéterminée…en ajoutant que les crises conjoncturelles diminuent la visibilité de l’employeur !

Mais le pouvoir exécutif n’avait jamais décidé d’agir de crainte, probablement, de susciter la colère des syndicats qui auraient crié à la précarisation de l’emploi !

Il l’a fait récemment, permettant aux entreprises d’utiliser exceptionnellement le contrat à durée déterminé pour s’adapter à l’incertitude provoquée par la crise majeure du Coronavirus. Cette mesure a fait l’objet d’un Décret dont la portée générale se situe dans le souci du gouvernement de maintenir l’emploi des salariés en une période difficile.

Article 66 Code du Travail

« Du licenciement pour motifs technologiques, structurels ou économiques et de la fermeture des entreprises ».

Ce licenciement est désigné sous d’autres législations par « licenciement collectif pour cause économique ». Il survient lorsque l’entreprise est tenue de licencier une partie de son personnel au risque de subir des difficultés qui pourraient compromettre sa pérennité et, par conséquent, entraîner une perte d’emploi pour l’ensemble de ses salariés.

Ce licenciement est soumis à des formalités très strictes, dont une autorisation administrative préalable.

Article 67 Code du Travail

« Le licenciement de tout ou partie des salariés employés dans les entreprises visées à l’article 66 ci-dessus pour motifs technologiques, structurels ou pour motifs similaires ou économiques, est subordonné à une autorisation délivrée par le gouverneur de la préfecture ou de la province, dans un délai maximum de deux mois à compter de la date de la présentation de la demande par l’employeur au délégué provincial chargé du travail. La demande d’autorisation doit être assortie de tous les justificatifs nécessaires et du procès-verbal des concertations et négociations avec les représentants des salariés prévu par l’article 66 ci-dessus ».

Le licenciement collectif n’a jamais été autorisé avant celui qui a été prononcé par la compagnie Royal Air Maroc envers plusieurs membres de son personnel. Tous les vols ayant été annulés au début de la crise du Coronavirus et encore aujourd’hui, la compagnie nationale de transport aérien à dû procéder à une profonde restructuration de ses activités avec suppression de vols, cessions d’aéronefs et licenciement collectif de personnel navigant et au sol. Nous nous sommes tous posés la question légitime de savoir si une telle autorisation avait été donnée pour la première et la dernière fois ou si nos autorités étaient disposées à procéder à l’examen d’autres demandes. Si tel est le cas, nous pourrions dire que les dispositions du Code du Travail ont pu « évoluer » sans changement législatif, par voie règlementaire.

2.2. La réforme du Code du Travail

C’est compte tenu de cet historique et cet environnement que les discussions semblent reprendre entre les partenaires sociaux pour une nouvelle réforme du Code du Travail. Le principe de cette réforme a fait l’objet de déclarations officielles en 2017 et nous pensions sérieusement qu’un projet de loi était prêt à être confié à nos députés. En fait, des discussions sont toujours en cours, dont nous avons obtenu quelques échos par la presse.

Ces informations nous ont appris que les positions des partenaires sociaux demeurent inchangées et diamétralement opposées ce qui rendrait très difficile, pour ne pas dire impossible, l’adoption d’un nouveau Code du Travail qui contient des dispositions souhaitées par tous !

Il est bon de souligner que les interlocuteurs sont dans une situation peu représentative. La Confédération Générale des Entreprises du Maroc est loin de représenter l’ensemble du tissu économique du pays. Y siègent, principalement, les grandes entreprises nationales et multinationales.

Nos syndicats, de même, ne sont pas présents dans toutes les entreprises du Maroc !

Les uns, les employeurs représentés par leur syndicat, la C.G.E.M., rêvent de « flexibilité » et de « souplesse » dans la gestion de leurs ressources humaines. Ces deux « mots clés » ont été prononcés à maintes reprises et nous devons admettre qu’ils sont utilisés à l’échelle mondiale. Tous les patrons de tous les pays ont besoin de cette flexibilité pour adapter la main d’œuvre à l’exploitation de l’entreprise. Mais sont-ils compatibles avec la situation sociale marocaine ?

À vrai dire, selon une pure logique, cette souplesse n’est viable que lorsque les salariés peuvent profiter de mesures de protection sociale sous forme d’assurance chômage. Ils seraient pris en charge par ce « filet social » lorsque leur employeur décide de rompre le contrat de travail pour des motifs d’ordre économique. Ces mesures, pour le moment, n’existent pas ou sont à leur balbutiement[5] !

Les employeurs doivent, de ce fait, réfléchir à deux fois avant de licencier car ils craignent les incidences litigeuses, coûteuses et fastidieuses d’un mauvais recrutement ou d’une période difficile inattendue. Car dans la pratique, même en cas de faute grave du salarié, l’employeur rencontre des difficultés dans la procédure de licenciement.

La flexibilité demandée réside dans ce premier aspect que le patronat considère comme excessivement protecteur pour le salarié, à un tel point qu’il l’empêche de recruter. Nous sommes donc dans une formule logique bien qu’elle pourrait choquer et susciter l’ire des syndicats, « pour encourager le recrutement, facilitons le licenciement » !

Par ailleurs, les employeurs veulent utiliser de manière plus étendue le contrat à durée déterminée qui est très réglementé dans le code en vigueur. Ce concept de « CDD libre » constitue aussi une formule « importée » qui s’adapte parfaitement à des économies dites développées évoluant aux côtés d’un système social très protecteur. Serait-il prudent de l’adopter dans notre pays sans risque de précarisation extrême de l’emploi ?!

Les motifs qui ont poussé les syndicats à diverger de la position des employeurs sont contenus dans les revendications de ces derniers, que nous venons de résumer.

Pour les organisations représentant les salariés, les patrons proposent des mesures qui prennent leurs sources dans des législations étrangères de pays développés économiquement et il serait totalement inapproprié de les adopter au Maroc.

Elles ajoutent que les dispositions contenues dans le Code du Travail en vigueur ont été obtenues après de longs et âpres débats et qu’elles sont efficaces, sous réserve que les employeurs en observent l’application !

Nous sommes donc dans une sorte d’impasse incompatible avec les discussions que doivent entreprendre les partenaires sociaux en vue d’élaborer un projet de réforme du Code du Travail.

Compte tenu de cette divergence de vues entre les parties prenantes, il serait probablement plus intéressant et efficace de maintenir le Code actuel et de prévoir des modifications par décret, à chaque fois que la loi le permettrait.

Nous avons évoqué, ci-dessus, deux cas qui ont permis aux employeurs de recruter sous contrat à durée déterminée (article 16 du Code du Travail) et de procéder à des licenciements collectifs pour motif économique (articles 66 et 67 du Code du Travail).

D’autres possibilités sont offertes par la loi en vigueur. Par exemple, l’article 2-3° du Code du Travail précise que toutes ses dispositions « s’appliquent également aux salariés travaillant à domicile ». Ceci permettrait de prévoir une règlementation à propos du « télétravail » en attendant l’adoption de lois spécifiques dans un domaine qui prendra, sans doute, une grande importance à l’avenir, si ce n’est déjà fait.

Conclusion

Cette réforme du Code du Travail, tant attendue, s’annonce sous de mauvais augures si l’on examine la qualité des débats qui l’entourent et, peut-être, la précèdent !

En attendant un développement économique suffisant pour permettre l’institution d’une législation du travail « moderne », adaptée à l’entreprise marocaine, diverse, de toutes tailles, nationale et multinationale, œuvrons dans le second volet du droit social, celui qui est consacré par la loi à la sécurité sociale des travailleurs !

Cette sécurité n’a pu être affrontée durant la crise qu’à coups de mesures exceptionnelles, prises par décrets-lois, en marge de l’action habituelle de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (C.N.S.S.) qui s’est retrouvée totalement débordée et exsangue. Le fonds Spécial a pris la relève, distribuant les moyens de subsistance à tous les citoyen(ne)s, immatriculé(e)s à la C.S.S.S. ou pas, salarié(e)s ou pas, allant jusqu’aux frontières de l’informel, lui que l’on a toujours banni et accusé de tous nos maux !

Après cette étape « ambulatoire », comme nous l’espérions tous, nos dirigeants ont « appris la leçon » et ont décidé d’agir vite. Lundi 15 mars 2021, nos députés ont adopté le projet de loi cadre n° 09-21 qui va constituer les fondations d’un nouveau régime généralisé de protection sociale et de retraite. Tous les acteurs sociaux sont interpellés pour assurer le succès de cette grande réforme. Ensuite, il sera possible de modifier le Code du Travail sans risque de précarité car cette protection sociale sera un « filet social ».


[1] D.O.C. toujours en vigueur

[2] Confédération Générale des Entreprises du Maroc – Patronat marocain

[3] Notamment, Union Marocaine du Travail (U.M.T.) et Union Générale des Travailleurs du Maroc (U.G.T.M.)

[4] Les litiges liés au droit du travail ne sont pas traités par des juridictions spéciales, comme dans de nombreux pays. Au Maroc, ils sont du ressort des tribunaux de droit commun (Tribunal de Première Instance, Cours d’appel et Cour de Cassation). La Cour de cassation est la plus haute juridiction qui reçoit les litiges relevant du droit privé.

[5] L’assurance chômage a été instituée au Maroc en décembre 2014 avec un système de plafonnement qui en limite l’efficacité.

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