- L’innovation c’est pour les autres: les Apple, Google et Consorts !
- Je ne suis pas suffisamment grand pour penser l’innovation dans mon entreprise !
- Vu mon marché et mon produit, je pense que je ne suis pas concerné par l’innovation.
Quand un dirigeant, cadre, entrepreneur admet en son for intérieur ce type de pensée, le raisonnement est totalement faux à la base sans omettre le fait que ce dernier fragilise son organisation. Dans une économie marquée par l’hyper-compétition mondiale, ne pas disposer d’une politique de l’innovation, c’est prendre le risque candide de se fossiliser en toute simplicité.
Et c’est d’autant plus regrettable que le ticket d’entrée conceptuel d’une entreprise dans le champ de l’innovation est fort accessible. Ce qui est théorisé aujourd’hui comme étant l’innovation frugale ou l’innovation Jugaad offre cette possibilité. Mais que signifie l’innovation frugale au juste ?
Observant comment des citoyens ordinaires pensent des solutions innovantes pour répondre à leurs besoins au sein de l’économie émergente qu’est l’Inde, un trio composé d’un consultant en management, d’un professeur et d’une chef d’entreprise (Navi Radjou Jaideep Prabhu Simone Ahuja) ont fini par identifier une nouvelle théorie dans le champ de l’innovation à qui ils attribuèrent le nom de « Jugaad »[1] ce qui signifie en hindi populaire une solution innovante, improvisée, née de l’ingéniosité et de l’intelligence.
On trouve au terme Jugaad une traduction dans toutes les langues: en darrija marocain, on entend souvent le terme « l’bricoul » désignant la façon ingénieuse avec laquelle de simples gens dans le dénuement arrivent à trouver des solutions innovantes à des problèmes coûteux ou encore l’expression « Système D » en usage dans les pays francophones. Mais si l’innovation frugale est spécifique aux pays émergents, les économies développées rattrapées par la crise et la persistance d’une croissance atone y trouvent un intérêt à l’instar de Renault-Nissan qui revendique l’implémentation de l’innovation frugale à travers le leadership de son C.E.O. Carlos Ghosn[2]. La théorie de l’innovation frugale a le mérite d’ouvrir le champ de l’innovation à des organisations qui pensaient que l’innovation passait exclusivement par de coûteux budgets R. &D.
Comment dès lors faire entrer son organisation dans l’innovation grâce aux principes de l’innovation frugale? En cherchant l’inspiration de la méthode sur la base des six principes qui définissent selon Selon Radjou et al. 2012 l’innovation frugale. Nous décrypterons ici à l’attention du manager en une logique de savoir actionnable la théorie et sa méthode à travers un questionnement précis.
- Le principe de la recherche de l’opportunité dans l’adversité
Le problème majeur de mon entreprise, celui qui empêche le dirigeant ou le cadre de dormir, celui-la même qui peut envoyer l’entreprise dans le cimetière des organisations en dépôt de bilan, celui devant lequel baisser les bras devient une douce et agréable tentation, celui-là même que résume parfaitement le terme adversité devient ici la source à partir de laquelle une opportunité d’innovation est à explorer et à définir.
Quand Mr A. Muruganantham vivotant sous le seuil de pauvreté découvre choqué que son épouse utilise lors de son cycle menstruel des chiffons en guise de serviettes hygiéniques et qu’il l’entend dire c’est le lait pour les enfants ou la serviette hygiénique[3], il fait face à cet instant à une adversité extrême. Ce sera le point de départ qui l’amènera à devenir aujourd’hui un important entrepreneur social. Il développera lui même un nouveau produit créant en Inde un marché de la serviette low-cost au nez et à la barbe des multinationales présentes dans le secteur.
Question au manager : Quelle est donc mon adversité ? Quelle opportunité recèle-t-elle transformable en produit ou service pour mes clients ?
- Le principe de faire plus avec moins
Lorsqu’il s’agit de penser l’innovation, les entreprises sont souvent obnubilées par un département R&D engloutissant de grands budgets sans garantie aucune d’arriver à des solutions innovantes. Le principe dont il est question ici réside dans le fait que je recherche la solution innovante à partir de ce dont je dispose là et maintenant autour de moi dans mon environnement.
Quand la NASA reçoit le célèbre message radio « Houston, nous avons un problème » du programme Apollo 13, l’ingénieur en chef demande à ses équipes au sol de trouver le moyen de faire entrer un carré dans un tube en n’utilisant que les objets dont dispose l’équipage en vol. Le moment est immortalisé dans une scène du film éponyme par « We have to make this, fit into the hole made for this, using nothing but this ! » Sans la solution trouvée l’équipage d’Apollo 13 aurait péri en vol.
Question au manager : Dans la limite de mes moyens, en me concentrant sur les ressources dont je dispose maintenant, que puis-je mobiliser pour trouver une opportunité innovante à partir de l’adversité à laquelle je fais face ?
- Penser et agir en mode flexible
Sans même le réaliser, le manager en situation de penser les solutions est en mesure de rigidifier sa pensée en figeant une problématique dans ses tenants et ses aboutissants, ce qui finit par forcément faire émerger la dimension impossible prélude à l’abandon en termes de modes opérationnels ou de changements. En pensant les problématiques et les modalités de solutions de manière flexible, on surpasse les barrières imaginaires.
Quand personne autour de lui n’a voulu tester sa serviette hygiénique à commencer par son épouse qu’inquiétait un mari explorant les serviettes hygiéniques ramassées dans les poubelles afin de comprendre leur fonctionnement, Mr A. Muruganantham n’hésita pas à les porter lui-même en y injectant du sang de chèvre pour vérifier leur capacité d’absorption.
Question au manager : Jusqu’où m’est-il possible d’aller en termes de flexibilité vis à vis des situations d’usage, du management de mes équipes, d’entorses à mes habitudes afin de faire éclore une solution innovante?
- Agir et penser simplement
Penser l’innovation en termes de recherche de la simplicité est paradoxalement toujours beaucoup plus laborieux que de penser l’innovation de façon complexe. L’élimination du superflu, de facteurs paraissant à priori nécessaires mais qui ne le sont pas demande un effort de clarification qui n’apparaît pas immédiatement.
Observez la page du moteur de recherche le plus puissant et valorisé dans le monde: une page blanche avec une fenêtre de recherche. En une autre dimension, hors du champ de la simplicité, la page de recherche de Google aurait été chargée de couleurs, d’informations et de données multiples or elle ne l’est pas, c’est presque une page blanche.
Question au manager: Que puis-je élaguer et supprimer dans mon idée sans altérer le cœur de mon produit et service, jusqu’à quelle limite puis-je simplifier mon projet d’innovation en lui conservant toute sa force ?
- L’intégration de la marge
La représentation cognitive du consommateur dans l’absolu tend à le représenter dans ses caractéristiques centrales, ce qui se trouve à la marge ne suscite pas apriori la même attention. Il est plus facile à l’esprit de songer à un cadre actif qu’à un adolescent ou une personne du 3ème âge. L’intégration de la marge peut amener la réflexion à percevoir la fait que le « cœur de la cible » en langue marketing n’est pas a priori celui qu’on croit. Ce qui se trouve à la marge peut générer une nouvelle approche, de nouveaux produits, de nouveaux usages et de nouveaux marchés.
Quand Mr A. Muruganantham a pensé la serviette hygiénique, il a intégré dans sa pensée la marge inscrite dans les femmes les plus démunies inventant ainsi un nouveau marché resté invisible aux principaux acteurs du secteur à l’échelle du monde.
Question au manager : Quel consommateur se situe à la marge de mon traditionnel coeur de cible ? A qui je n’ai jamais songé et pour qui je peux développer une solution innovante en terme de produit et de service ?
- Écouter son intuition, suivre son cœur
Depuis la révolution industrielle occidentale et l’avènement de la machine, la raison adossée au chiffre a imposé un modèle de réflexion et de décision au sein duquel seule la dimension cartésienne rationnelle a droit de cité. Partant de ce fait, l’intuition en tant que connaissance ne s’appuyant pas sur la raison devait être écartée dans le processus de réflexion et de prise de décision. Néanmoins, l’intuition est un facteur puissant d’accès de façon non raisonnée à une connaissance prélude à une décision, encore faut-il prendre le temps de la cultiver.
En ce sens l’homme qui a bâti une entreprise pesant 725 milliards de dollars[4] et numéro 1 au monde en termes de capitalisation boursière, à savoir Steve Jobs, s’était ainsi confié à un journaliste: «Je commençais à réaliser que la compréhension intuitive et la conscience était plus importante que la pensée abstraite et l’analyse logique »[5] C’est par ce principe que des décisions en développement de produit, en orientation stratégique et en développement des ressources humaines ont été actées chez Apple inventant ainsi le modèle du Jobsisme [6]. Tim Cook, l’actuel C.E.O. d’Apple selon Isaacson 2012 était ainsi chargé de développer l’esprit d’intuition chez les ingénieurs d’Apple.
Question : En prenant le temps d’écouter sans peur aucune au plus profond de moi dans le calme et la sérénité ma voix intérieure, que me dit-elle ? Vers quelle direction celle-ci m’amène-t-elle ? Que me disent aussi mes collaborateurs sur la base de leur intuition ?
C’est ainsi donc que se construisent les principes de l’innovation frugale qui offre sans aucun doute aux économies émergentes la possibilité de développer une politique d’innovation avec un ticket d’entrée accessible en termes conceptuels et opérationnels. Managers, chefs d’entreprise entrepreneurs, innovez dès aujourd’hui grâce à l’innovation frugale.
Les principes de l’innovation frugale | Questionnement opérationnel |
La recherche de l’opportunité dans l’adversité | Quelle est donc mon adversité ? Quelle opportunité recèle-t-elle transformable en produit ou service pour mes clients ? |
Le principe de faire plus avec moins | Dans la limite de mes moyens, en me concentrant sur les ressources dont je dispose maintenant, que puis-je mobiliser pour trouver une opportunité innovante à partir de l’adversité à laquelle je fais face ? |
Penser et agir en mode flexible: | Que puis-je élaguer et supprimer dans mon idée sans altérer le coeur de mon produit et service, jusqu’à quelle limite puis-je simplifier mon projet d’innovation en lui conservant toute sa force ? |
Agir et penser simplement | Que puis-je élaguer et supprimer dans mon idée sans altérer le coeur de mon produit et service, jusqu’à quelle limite puis-je simplifier mon projet d’innovation en lui conservant toute sa force ? |
L’intégration de la marge | Quel consommateur se situe à la marge de mon traditionnel coeur de cible ? A qui je n’ai jamais songé et pour qui je peux développer une solution innovante en terme de produit et de service ? |
Ecouter son intuition, suivre son coeur | En prenant le temps d’écouter sans peur aucune au plus profond de moi dans le calme et la sérénité ma voix intérieure, que me dit-elle ? Vers quelle direction celle-ci m’amène-t-elle ? Que me disent aussi mes collaborateurs sur la base de leur intuition ? |
[1] Radjou, N., Prabhu, J., & Ahuja, S. (2012). Jugaad innovation: Think frugal, be flexible, generate breakthrough growth. Wiley & Sons.
Radjou, N., & Prabhu, J. (2015). Frugal Innovation: How to do more with less. PublicAffairs.
[2] Radjou, N., Prabhu, J., & Ahuja, S. (2012). Frugal Innovation: Lessons from Carlos Ghosn, CEO, Renault-Nissan. Harvard Business Review blog
[3]http://www.independent.co.uk/news/world/asia/the-tampon-king-who-sparked-a-period-of-change-for-indias-women-7897093.html
[4] Source PWC Global Top 100 Companies by market capitalisation
[5] W. Isaacson Steve Jobs 2011 p.72
[6] N. EL HILALI 2015 Contemporary models of design research: Design Research as an interplay with world successful economic models: the “Jobsism” in Proceedings of Insight 2015 Design research symposium, Bangalore India.