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L’Efficience du droit de l’Entreprise dans les périodes de crise majeure

L’Efficience du droit de l’Entreprise dans les périodes de crise majeure

Ce thème a déjà fait l’objet d’une conférence organisée dans le cadre de la réflexion que nous menons au sein d’ESCA École de Management durant cette crise du Covid-19.

Bien que le mot « propice » ne soit pas le plus adapté aux circonstances, il est évident que le fait de cogiter à propos de ses nombreuses incidences sur l’activité de l’entreprise nous permettra de mieux appréhender la sortie de crise et mieux s’armer pour en affronter une autre. Nous aiderons certaines disciplines du management à sortir de leur torpeur et contribuerons à l’assainissement de l’environnement légal du monde des affaires.

Il est question ici de DROIT, une discipline qui a toujours été considérée comme le « parent pauvre » de l’environnement de l’entreprise devant d’autres matières qui rapportent davantage, comme la Finance ou le Marketing. Pourtant ce droit est partout, il est présent depuis la création de l’entreprise jusqu’à sa disparition. Qu’elle vende, achète, recrute, assure ses biens ou s’endette, pour ne citer que ces exemples simples, elle a recours à la règle de droit dont la qualité dépend des efforts que ses sources ont entouré son élaboration. Nous avons souvent l’habitude de qualifier cette règle de « bon droit » lorsqu’elle nous permet d’atteindre nos objectifs de manière efficace et heureuse. À l’inverse le « mauvais droit » place dans l’embarras le plus compétent des avocats et le meilleur magistrat !

Nous ne prétendons pas affirmer ici que les difficultés de l’entreprise sont causées par l’état de ses règles de droit mais nous sommes convaincus que ce droit n’est pas d’un grand soutien lors de l’adversité ! C’est un peu comme si ces règles ne produisent leurs effets que lorsque l’entreprise est en bonne santé. Lorsqu’elle démontre des signes de faiblesse, ce n’est pas au droit qu’elle a l’habitude de s’adresser, sauf lorsque le mal est profond. Le législateur a institué un droit spécial pour les situations de difficultés graves qui se soignent aux portes des tribunaux de commerce. Il est constitué par un Livre entier de notre Code de Commerce et pourtant, comme nous le soulignerons,[1] ses dispositions n’ont pas permis un traitement préventif efficace.

Que dire lorsque ces difficultés prennent des proportions hors du commun dans des situations qui nous dépassent tous, qui s’imposent malgré tous nos efforts.

La crise que nous vivons, celle du Covid-19, est inédite par son ampleur et les dégâts parfois irréparables qu’elle a et va générer. Ses effets n’ont pas pu être maîtrisés et même nos économistes en ont « perdu leur latin ». Habitués depuis des décennies à des situations classiques, crise de l’offre, de la demande, crise financière, ils ne savent pas exactement dans quel registre placer celle qui nous a tous confinés depuis plus de deux mois.

Nous vous proposons, avant toute chose, de faire un inventaire rapide du droit de l’entreprise afin de vérifier s’il contient des dispositions qui pourraient venir en aide aux entreprises qui traversent des difficultés. Nous n’évoquerons à ce stade que les difficultés « normales » que les entreprises affrontent au quotidien.

Nous placerons ensuite ce droit dans le contexte de la crise du covid-19 qui est considérée selon les critères de l’Organisation Mondiale de la Santé comme majeure[2].

Ce sera l’occasion de rappeler, tout en gardant un œil critique, les mesures exceptionnelles proposées par le gouvernement afin d’aider les entreprises.

Nous terminerons par des recommandations qui pourraient faciliter l’amélioration du droit de l’entreprise afin de lui permettre de faire face aux difficultés de manière plus efficace.

1. L’état du droit de l’entreprise au Maroc

1.1. L’évolution de ce droit depuis les trente dernières années

1.1.1. Droit et esprit de la loi

La refonte totale du droit marocain de l’entreprise a été opérée selon une vision géopolitique. L’objectif était de remplacer des textes hérités de la période de protectorat par une législation moderne tout en l’harmonisant avec les législations de nos partenaires étrangers afin d’encourager leurs entreprises à investir au Maroc. Cette équation difficile devait aussi prendre en considération nos critères d’ordre socio-économiques ainsi que notre identité ! Car il ne faut pas perdre de vue le rôle du Droit dans toute société, est celui d’établir des règles équitables nécessaires à la conduite de l’homme en société et à l’harmonie des rapports sociaux.

Les règles du droit de l’entreprise, droit des affaires, doivent en plus de ce rôle social, permettre une répartition juste des richesses créées par les acteurs économiques, assurer la transparence des transactions et protéger les intervenants contre les abus que pourraient commettre les plus puissants.

Ces préoccupations ont-elles été présentes dans l’esprit du législateur lorsqu’il a adopté des réformes ou a-t-il été tenté par la facilité en s’inspirant de manière manifeste et excessive de systèmes juridiques d’autres nations ?

Cette interrogation essentielle sera toujours présente lorsque nous aborderons le contenu de la réforme du droit des affaires.

1.1.2. Les textes adoptés

Nous ne pouvons pas évoquer le contenu de la réforme du droit de l’entreprise dans son intégralité. Nous avons retenu les lois les plus importantes dont les règles constituent l’essentiel de la gestion juridique des entreprises, quelles que soient leur forme et leur taille.

Les références législatives que nous citerons permettrons de mieux évaluer les mesures exceptionnelles prises par nos autorités durant cette crise dans le cadre d’un « comité de veille économique » car, par principe, ces mesures ont été orientées vers les lacunes de nos lois en matière de prévention des difficultés.

Nous examinerons, successivement, la réformes du droit des sociétés, du droit fiscal, du droit social et du droit commercial.

1.1.2.1. Le droit des sociétés

Ce droit a fait l’objet d’une réforme totale à travers deux lois :

La loi 17-95 sur les sociétés anonymes et la loi 5-96 sur les autres formes de sociétés. En ce qui concerne la première, il a été constaté que sa rédaction a été fortement inspirée de la loi française du 24 juillet 1966 qui a été abrogée par le législateur de ce pays au moment même où le nôtre adoptait la sienne. Ce texte a été très critiqué par le monde des affaires qui a regretté son caractère pénal exagéré, trop de sanctions souvent démesurées.

Pour nos autorités, il s’agissait de rendre à la société anonyme, personne morale qui a facilité la révolution industrielle par l’apport de capitaux, ses lettres de noblesse. Il fallait en sécuriser tous les rouages afin d’éviter les abus.

Un organe clé a été mis en place, chargé du contrôle des opérations réalisées par la société anonyme, le commissaire aux comptes. Professionnel de la comptabilité, inscrit à l’ordre des experts de cette discipline, il est chargé d’une mission permanente et assume une responsabilité pénale.

Néanmoins, dans la pratique, l’indépendance totale que sa mission exige est souvent compromise par une « jeu » d’honoraires allouées aux autres missions que son client lui confie habituellement !

Le montant minimum du capital social de la société anonyme, 300 000 DH ou 3 000 000 DH pour les sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne[3], pourrait aussi être considéré comme une garantie pour toutes les personnes qui traitent avec elle. Mais pour les sociétés non cotées, nous savons que le capital social demeure souvent non libéré totalement et, même libéré, son montant devient insignifiant devant les pertes cumulées[4].

En dehors de ces réserves relatives à la sécurité financière des sociétés anonymes, notamment en période de crise, il est très important de prendre en considération que la grande majorité des entreprises marocaines ne sont pas des sociétés anonymes.

Le tissu économique marocain est constitué, majoritairement, d’entreprises individuelles et de sociétés à responsabilité limitée[5], souvent familiales. Cette dernière forme se caractérise par l’absence d’obligation d’apporter un montant minimum de capital social et de nommer un commissaire aux comptes[6].

De ce fait, les règles du droit des sociétés utilisées par la majorité des entreprises ne contiennent pas d’éléments sécuritaires suffisants susceptibles d’aider les dirigeants à se prémunir contre des difficultés en cas de crise.

Nous pourrions même dire que certaines entreprises, détenues par des familles, trouvent un appui en dehors des dispositions du droit de l’entreprise, compte tenu de la solidarité existant entre leurs membres et du caractère sacré de la richesse constituée par l’entreprise, transmise de génération en génération.

1.1.2.2. Le droit fiscal

Le droit fiscal est autonome et indépendant, compte tenu de son rôle important, la collecte des recettes fiscales par l’État en vue de financer les dépenses publiques. Il se permet toutes les libertés vis-à-vis des autres disciplines juridiques formant le droit de l’entreprise. De ce fait, il s’est très peu préoccupé des difficultés que pourraient connaître les entreprises assujetties, il n’en a connaissance que par le formalisme qui accompagne ces turbulences.

Le Maroc a adopté depuis plusieurs années un système de codification des lois fiscales afin d’en faciliter l’application. Les dispositions du Code Général des Impôts[7] ne s’intéressent aux difficultés des entreprises qu’à travers un ensemble complexe de déclarations que ces dernières doivent déposer à diverses échéances obligatoires.

L’administration fiscale pourrait reconnaître ces difficultés lorsque l’entreprise déclare une perte fiscale ou un bénéfice anormalement faible durant plusieurs exercices. D’ailleurs, il est demandé aux sociétés qui déclarent un déficit de fournir des informations précises justifiant cette situation. Mais ces informations ne sont pas collectées à titre préventif. Nous supposons que l’administration les utilise pour alimenter son programme de vérification.

Cette dernière supposition devient une véritable certitude lorsque l’on observe le contenu de certains articles du C.G.I. C’est le cas des articles 150 et 150 bis.

Le premier concerne les situations « de de cessation, cession, fusion, scission ou transformation de l’entreprise », autant d’évènements qui pourraient être envisagés en tant que remède à des difficultés de l’entreprise. Le premier terme cité dans l’article n’autorise aucune forme de confusion, la cessation d’activité ne pouvant pas constituer une stratégie constructive mais un dernier recours !

La société a traversé souvent une longue période d’incertitude et ses dirigeants, comme le ferait le coach d’un boxeur qui saigne abondamment sur le ring, « jettent l’éponge ». Dans l’entreprise, c’est une procédure douloureuse qui comprend les germes d’une liquidation. Elle s’achève par une déclaration modificative au greffe du tribunal de commerce qui a accueilli sa naissance. Cette dernière formalité provoque, de manière automatique, sans que cette opération ne soit prévue dans aucune disposition de la loi, par la vérification par l’administration fiscale des comptes de quatre (4) exercices considérés comme non prescrits. Cet usage répandu nous éloigne de toute idée de prévention de difficulté, il est lui-même une difficulté qui s’ajoute au lot de soucis qui pèsent sur les épaules du dirigeant !

Quant à l’article 150 bis du C.G.I. la seule image qui lui sied est une « salle de repos » où l’entreprise qui a un malaise est invitée à s’installer en attendant de reprendre des forces. « Déclaration de cessation temporaire d’activité ». Ce repos mérité peut durer 36 mois mais, là aussi, point de remède ni de recommandation, juste du repos !

Il n’est pas utile de faire ici le procès du droit fiscal, c’est ainsi et personne n’y peux rien !

Mais nous pouvons néanmoins lui faire un petit reproche, celui d’avoir excessivement parié sur la bonne santé des entreprises !

Pourtant, la crise est là et aujourd’hui, elle a un nom, Covid-19, elle est majeure et nous frappent tous, à part quelques rares exceptions.

À défaut de réformer, encore une fois, totalement ce droit exceptionnel, nous nous permettrons de proposer quelques outils faciles à mettre en place qui pourraient aider les entreprises. Nous le ferons dans la seconde partie de cet article lorsque nous évoquerons les mesures prises en urgence par les responsables afin d’atténuer les effets de cette pandémie.

1.1.2.3. Le droit social

De par sa vocation, ce droit nous a interpellés davantage que les deux qui précédent car, qui dit crise et difficultés des entreprises, dit perte d’emplois. Dans cette pandémie, les licenciements et arrêts temporaires de travail se comptent par millions. Parmi les entreprises qui ont été sommées de fermer leurs portes par décision du gouvernement le 16 mars 2020, beaucoup ne survivront pas. Et le sort de celles qui sont privées de leurs salariés en raison d’un confinement aussi strict que long n’est guère plus enviable.

Nous comprenons beaucoup mieux à présent cette formule macabre qui a traîné longtemps dans la plupart des réseaux sociaux au début de cette crise, « le Covid-19 risque de prendre plus d’entreprises que de vie humaines » !

Le Maroc n’avait pas d’autre choix que ce confinement car nous ne pouvons pas admettre le sacrifice de vies humaines, c’est dans nos mœurs. Alors, c’est l’entreprise qui a pris tous les coups. Mais les rapports étroits qui existent entre l’entreprise et toutes les parties prenantes qui veillent à son développement, notamment ses salariés, devaient nous mettre en garde à propos de la gravité de la situation.

Le Maroc a agi dans cette crise, malgré lui, comme un acrobate privé de sons filet de sécurité, risquant à tout moment une chute fatale !.

Le droit social est composé du droit du travail et celui qui régit la sécurité sociale des travailleurs. Si le premier, comme nous le soulignerons, a permis d’amortir une partie du choc frontal que cette crise a provoqué, le second s’est avéré totalement démuni, obligeant la prise de mesures de derniers recours afin de ne pas laisser sans aucun moyen de subsistance des millions de citoyens !

– Droit du travail

Ce droit est articulé autour d’un Code du travail[8] qui n’a que dix sept (17) années d’existence et déjà largement « dépassé », compte tenu de la vitesse à laquelle l’entreprise s’adapte aux changements.

L’exercice que nous avons effectué pour le droit fiscal sera renouvelé ici afin de nous faire une idée assez précise de la propension de ce droit à prévenir d’éventuelles difficultés de l’entreprise.

L’un des articles du Code du travail a été, sans être nommé et de manière indirecte, utilisé par nos autorités pour porter secours aux salariés victimes de la crise.

Il s’agit de l’article 32 relatif à la « suspension du contrat de travail ». Parmi les situations qui justifient cette suspension, l’alinéa 7 a attiré notre attention. Il précise que le contrat de travail est suspendu (pas rompu) « pendant la fermeture provisoire de l’entreprise intervenue légalement ». Ne sommes-nous pas exactement dans cette situation ce 16 mars 2020 lorsque les entreprises exerçant une activité jugée non indispensable ont dû fermer leurs portes ? Allait-on leur demander de continuer à verser les salaires comme le prévoit, au moins en théorie pure, le droit du travail ? Ce serait le comble de l’injustice. Certaines entreprises l’ont fait spontanément et c’est tout à l’honneur de leurs dirigeants. L’État leur a apporté une aide, comme nous le verrons plus loin[9]. Nous verrons aussi ce qui a été institué pour tous les autres, ceux qui ont cessé d’être rémunérés et ceux qui exerçaient une activité dans le « secteur informel » lorsqu’ils ont été surpris par cette crise.

Le Code du travail n’est donc pas totalement démuni en temps de crise bien qu’il reste encore beaucoup à faire.

Le contenu du texte de la Section VI du Code, articles 66 à 71, est aussi à méditer sérieusement. Ces articles concernent le licenciement pour « motifs technologiques, structurels ou économiques » et de la fermeture des entreprises. Dans d’autres législations, en droit français par exemple, ce licenciement est identifié par son caractère « collectif ». Il s’applique dans les situations de difficultés. Au Maroc, son existence se limite aux dispositions de la loi car l’employeur ne peut s’en prévaloir que s’il obtient une autorisation délivrée par le gouverneur de la préfecture ou de la province.[10] Pour des motifs évidents liés à la préservation de l’ordre public, une telle autorisation, à notre connaissance, n’a jamais été obtenue par aucun employeur. Cette situation est très probablement justifiée par l’absence de « filet social ». Nous développerons davantage cet aspect dans le paragraphe suivant.

Le dernier paragraphe de l’article 16 du Code du travail ne peut pas non plus échapper à notre analyse. Nous le reproduisons intégralement ci-dessous :

« Le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu dans certains secteurs et dans certains cas exceptionnels fixés par voie réglementaire après avis des organisations professionnelles des employeurs et des organisations syndicales des salariés les plus représentatives ou en vertu d’une convention collective de travail ».

Ces dispositions font partie de situations précises dans lesquelles l’employeur pourrait recruter en utilisant une durée contractuelle déterminée, c’est à dire limitée dans le temps. Il est plus que probable que ces secteurs et ces cas exceptionnels visés concernent des périodes de crise au cours desquelles le contrat à durée indéterminée est totalement inadapté !

La question la plus naturelle qui nous vient à l’esprit à la lecture de ces dispositions est celle de savoir si l’employeur pourrait utiliser le contrat de travail à durée déterminée après cette crise du Covid-19 en se référant au dernier paragraphe de l’article 16 cité ci-dessus ?

Inutile de préciser qu’il s’agit là d’une question fondamentale et inutile aussi de dire combien d’employeur voudraient en recevoir une réponse favorable !

Après cette crise, bien d’autres réponses devront être apportées aux nombreuses questions que nous nous posons.

L’une d’entre elles mérite aussi le qualificatif « fondamental ». C’est celle du régime légal qui doit être réservé au travail à distance. De nombreuses entreprises ont déjà basculé dans le travail à travers une plateforme numérique. Une au moins l’a fait de manière définitive selon les informations que nous apportent les médias.

L’exemple d’ESCA École de Management est édifiant à ce titre car le passage au télétravail a été opéré rapidement et de manière très professionnelle s’agissant de l’avenir de ce que notre pays doit compter parmi ses richesses les plus précieuses, nos étudiants, ceux à qui « nous transmettrons les clés » afin qu’ils continuent à développer les entreprises et le pays !

Le troisième alinéa de l’article 2 du Code du travail a consacré seulement cinq mots au télétravail. Sous réserve que notre interprétation soit avérée, les voici : « …. aux salariés travaillant à domicile ».

Rappelons que ledit article 2 a été institué afin de nous aider à mieux identifier le champ d’application du droit du travail.

Nous le rappellerons dans nos recommandations, il est absolument nécessaire de doter l’entreprise de règles de droit facilitant le télétravail car l’après Covid-19 nous en démontrera sans doute la nécessité.

– Droit de la sécurité sociale

Cette discipline du droit l’entreprise est tellement « effacée » que de nombreux acteurs en méconnaissent l’existence même. Pourtant les mots qui la composent sont très forts, « sécurité sociale » et ils ont sonné de manière assourdissante durant cette crise !

Il est évident que nos autorités se sont retrouvées complètement désarmées devant l’ampleur des dysfonctionnements dus au nombre de salariés non couverts par le régime de sécurité sociale et aussi à la faiblesse des prestations offertes par ce régime à travers l’administration de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale. Les difficultés auxquelles font face les travailleurs pour obtenir la fameuse carte de CNSS ne sont un secret pour personne et les conséquences de cette situation ont été longtemps tolérées en vue de « faciliter le recrutement » !! Nous ne commenterons pas cette dernière remarque !

La crise majeure que nous traversons a mis à jour ces défaillances dans des conditions tragiques et l’État est venu au secours des citoyens qui se sont retrouvés exsangues en l’espace de quelques heures, sans distinction entre ceux qui travaillaient « au noir » et ceux qui exerçaient une activité informelle.

Il est absolument impératif que l’État recueille les enseignements de cette crise pour procéder à une réforme en profondeur du droit de la sécurité social et faire du droit social droit de l’entreprise à part entière dont les dispositions seront capables d’accompagner le changement et permettre au chef d’entreprise de prendre les décisions qui lui semblent les mieux adaptées au développement de son entreprise sans que ces décisions ne prennent le salarié en otage !

Le droit de la sécurité sociale constituera ce fameux « filet social » dont le rôle est d’amortir les effets du management sur le contrat de travail. S’il doit rompre ce contrat, de manière individuelle ou collective afin d’adapter la masse salariale à la cadence de l’activité de l’entreprise, le droit social permettra aux salariés concernés de percevoir un revenu de remplacement durant la période au cours de laquelle ils rechercheront un nouvel emploi. Ce rôle sera confié à l’administration de la CNSS qui se chargera aussi, si cette responsabilité n’est pas attribuée à un organisme dédié, d’aider les salariés qui ont perdu leur emploi à mieux rechercher ce nouvel emploi afin de réduire la période de chômage et ne pas transformer ce système en une sorte d’assistanat. Ces actions comprendront, principalement, des formations en matière de recherche d’emploi et des aides pour dénicher les entreprises répondant davantage aux profils concernés. Tout cela est possible est ne dépend pas seulement des moyens financiers utilisés, la volonté et le degré d’organisation y sont également pour beaucoup. La réussite dépend de tous. Les employeurs doivent cesser les actions qui précarisent l’emploi uniquement pour accroître leurs profits et les salariés doivent adhérer entièrement à cette nouvelle culture de l’entreprise en en respectant tous les principes.

Comme vous le constatez, nous sommes ici plus dans la philosophie du droit que dans le droit et plus dans des questions liées au choix de société que dans la gouvernance. Lorsque nous serons tous en accord à propos de ce choix, le droit suivra de manière automatique car s’efforcer d’instituer des dispositions légales capables de changer la société est une vue de l‘esprit et une perte de temps. Il est bien plus efficace de commencer par un processus d’éducation dans le sens le plus large que ce terme pourrait adopter, avant d’adopter les lois et règlements nécessaires.

– Le droit commercial

Ce droit a aussi fait l’objet d’une opération de « toilettage » par l’adoption du Dahir n° 1-96-83 du 1er août 1996 portant promulgation de la loi n° 15-95 formant Code de commerce. Plusieurs dispositions contenues dans le Dahir formant Code des obligations et contrat (D.O.C) un texte plus que centenaire (1913) et toujours en vigueur, ont fait l’objet d’une codification afin de permettre aux personnes exerçant une activité commerciale de disposer de règles de droit adaptées aux situations dans lesquelles elles se retrouvent habituellement. Un livre entier (Livre V) a été consacré à la prévention des difficultés des entreprises ce qui dénote un réel souhait de notre législateur d’accorder de l’importance aux entreprises qui traversent des crises, qu’elles soient structurelles ou conjoncturelles.

Les 191 articles qui forment ce dernier livre du Code de commerce ne constituent pas, en eux-mêmes, du « mauvais droit ». La faiblesse réside plutôt dans l’approche qui en est faite par les professionnels du droit qui sont chargés de les mettre en application.

Les premiers concernés sont les magistrats chargés d’examiner les demandes faites par les chefs d’entreprises qui décident de se placer sous la protection de ces dispositions légales.

Ils doivent, avec l’aide d’autres fonctionnaires et d’experts, évaluer la gravité des difficultés et choisir entre un plan de « redressement judiciaire » ou une « liquidation judiciaire », autrement dit entre les soins intensifs et les soins palliatifs !

La difficulté de ce choix réside, probablement, dans l’incapacité des juges, excellents dans d’autres affaires, de comprendre ce dont souffre réellement l’entreprise qui vient de traverser les portes du tribunal de commerce. Pour bien comprendre et, par conséquent, délivrer le remède idoine, il est indispensable de maîtriser les règles du management !

Une autre difficulté de taille a trait au comportement des créanciers qui pourraient perdre confiance dans une procédure judiciaire aux termes de laquelle ils pourraient perdre tout ou partie de leur créance. Alors ils deviennent méfiants et la méfiance n’est pas la meilleure compagne dans de telles procédures lourdes, complexes et douloureuses.

Ce ne se sont pas les exemples qui manquent, démontrant que peu d’entreprises en difficultés ont réussi l’étape du redressement judiciaire et poursuivent leur vie normalement. La plupart passent par cette case sur le chemin de la liquidation judiciaire, une fin tragique ou tout le monde perd !

Il est curieux de constater que même la loi a été rédigée compte tenu de cette appréhension.

Le titre premier du livre V annonce « les procédures de prévention des difficultés ».

Or les difficultés sont déjà là et il aurait été plus judicieux d’écrire ici « les procédures de prévention de la liquidation », titre qui sied davantage à la volonté sincère d’aider l’entreprise.

Le célèbre cas de la SAMIR nous a donné suffisamment d’enseignement sur la question et nous nous demandons, à l’heure où nous rédigeons cet article, combien d’entreprises seront liquidées et combien cesseront d’exister « sans autre forme de procès » !

La presse nous a déjà fourmi, très récemment, quelques cas touchant le commerce de détail d’articles d’habillements, les plus exposés avec les entreprises qui servent des produits à consommer sur place !

Nous devons donc profiter de l’enseignement de cette crise pour adapter les procédures du livre V du Code de commerce à la réalité. Nous devons tous le faire et l’entreprise aussi. Elle ne doit plus utiliser ces dispositions afin de protéger le patrimoine des dirigeants, grâce à l’opacité que le droit des sociétés lui offre[11]. En le faisant, elles faussent complètement le jeu et fournissent aux créanciers sceptiques les arguments qu’ils attendent !

Si tous les acteurs font preuve d’honnêteté et respectent l’éthique, l’entreprise reprendra toute sa grandeur et ne sera plus considérée, trop souvent, comme un simple « conduit » pour réaliser de bonnes affaires. Elle doit être le socle de l’économie du pays, l’élément principal de création de richesses et d’emplois. Ce sont les PME et TPE, notamment celles qui ont été créées par des familles, qui font vivre les citoyens et contribuent aux ressources de l’État, elles méritent un bon droit !

2. Droit de l’entreprises et crises majeure – crise du Covid-19

Le contenu de cette seconde partie sera beaucoup plus pragmatique car nous y examinerons, successivement, les mesures prises par le gouvernement dans le cadre d’un comité de veille économique chargé d’apporter une assistance immédiate aux entreprises en difficulté. Nous commenterons ces mesures et proposerons, le cas échéant, des recommandations susceptibles de contribuer à l’amélioration de l’environnement légal de l’entreprise afin que cette dernière puisse mieux se préparer à des périodes de crise comme celle que nous vivons.

Nous observerons le même plan car les mesures prises par le gouvernement concernent toutes les disciplines citées dans la première partie, sauf celles qui concernent le droit commercial.

Le lecteur remarquera un déséquilibre entre les deux parties. Il est du au fait que cette seconde partie couvre une période courte[12], proportionnelle au nombre de mesures qui ont été prises. Nous attendrons la fin de cette pandémie et surtout la période qui la suivra pour revenir ici et faire une synthèse.

– Fiscalité

– La première mesure annoncée par les autorités concerne le report du dépôt de la déclaration de résultat fiscal et du paiement de l’impôt (reliquat de l’impôt sur les sociétés de l’exercice 2019 et 1er acompte du même impôt de l’exercice 2020) au 30 juin 2020 (au lieu du 31 mars pour les sociétés qui clôturent leurs comptes le 31 décembre).

Cette mesure a été accueillie comme une véritable « bouffée d’oxygène » par les entreprises mais il est regrettable qu’elle ait fait l’objet de conditions d’application liée au chiffre d’affaires afin d’écarter, de fait, les entreprises de grande taille. Or, les difficultés ne sont pas proportionnelles à la taille de l’entreprise !

Visiblement, cette mesure a été évaluée uniquement en termes de recettes fiscales immédiates.

– Nos responsables ont aussi annoncé la suspension des avis de tiers détenteurs (ATD dont le caractère légal est loin d’être établi) et des contrôles fiscaux (nous supposons qu’il s’agit de ceux qui étaient programmés), sans préciser si les procédures de vérification en cours étaient concernées.

Il aurait été souhaitable que le décret-loi[13] précise que tous les exercices ayant subi les effets de cette crise (notamment les exercices 2020 et 2021) soient prescrits par anticipation et sans contrepartie. En effet, il n’est pas très utile que l’administration continue à déployer son droit de contrôle envers de contribuables complètement sinistrés !

De même, nous aurions hautement apprécié une mesure qui permettrait de reporter le déficit d’exploitation lié à cette crise, sans délai[14].

– Une mesure exceptionnelle a été prise en ce qui concerne le régime fiscal des dons qui ont permis de constituer le fonds spécial dans lequel le gouvernement puise pour venir en aide aux personnes physiques et morales victimes du Covid-19.

Rappelons à ce titre les dispositions de l’article 10-I-B-2 du C.G.I. qui limitent la déductibilité des dons. Ne sont déductibles du résultat fiscal que les dons versés à des établissements reconnus d’utilité publique et agissant à but non lucratif.

Compte tenu de l’efficacité des dons dans cette crise, en raison de l’esprit de solidarité qui s’est manifesté de manière spontanée, nous proposons de supprimer les contraintes de l’article cité afin de développer cet esprit entre entreprises mais aussi envers tous les citoyens.

Nous profitons de cette publication pour attirer l’attention de nos responsables à propos de la question des provisions, « constituées en vue de faire face soit à la dépréciation des éléments de l’actif, soit à des charges ou des pertes non encore réalisées et que des évènements en cours rendent probables »[15]. Nous mettrions fin à une situation des plus absurdes dans laquelle les auditeurs financiers recommandent à l’entreprise de provisionner afin de respecter l’image fidèle de la comptabilité, conformément à la loi 19-88 relative aux obligations comptables des commerçants, avant que le contrôleur fiscal ne vienne réintégrer toutes les provisions, sauf de rares exceptions !

La dotation aux provisions pour risque et charge est particulièrement adaptée aux périodes de crises car elle permettrait aux entreprises de constituer leur propre « ballon d’oxygène » en attendant des jours meilleurs. Ce ne serait réalisable que lorsque l’administration fiscale cessera d’utiliser la dépense fiscale comme seul critère d’appréciation !

– Droit social

Nous avons déjà eu l’occasion de souligner que les dispositions du droit du travail se sont relativement bien adaptées aux bouleversements générés par cette crise. Les mesures d’urgence qui ont été prises ont été supportées par des règles de droit en vigueur, comme celles qui régissent la suspension du contrat de travail pour fermeture de l’entreprise intervenue légalement, celles que les parties peuvent utiliser pour procéder à une réduction du temps de travail ou les dispositions légales, même très « pauvres », qui permettent l’application du code du travail lorsque le salarié exerce ses activités à domicile. Mais cette résistance ne doit pas nous induire en erreur et dire que ce droit est adapté à toutes les circonstances.

Il est urgent d’en réformer les dispositions qui pourraient constituer un frein aux décisions saines de management des ressources humaines et au changement de manière plus générale.

Nous avons déjà évoqué quelques aspects comme l’utilisation du contrat à durée, déterminée, le licenciement individuel abusif ou pour faute grave et le licenciement collectif pour cause économique. Nous ajouterons qu’un droit du travail beaucoup plus consensuel constituerait un outil de management des ressources humaines mieux adapté. Il faut donner plus de liberté aux parties de prévoir les clauses du contrat qui répondent à la situation de l’entreprise et à la conjoncture. Les employeurs doivent accorder leur confiance aux délégués du personnel, qu’ils soient syndiqués ou pas, afin de les transformer en véritables parties prenantes dans la bonne marche de l’entreprise. Aujourd’hui, ils sont davantage considérés comme des défenseurs des salariés, contre l’employeur ce qui a institué un climat malsain de méfiance dans les entreprises !

Combien de conflits ont dégénéré en crises graves jusqu’à mettre en jeu la pérennité de l’entreprise en raison d’un rapport de force déséquilibré entre les parties.

Puisque nous sommes coutumiers du « droit comparé », prenons les bons exemples en référence, même s’il s’agit de droits en vigueur dans des pays plus développés économiquement que le nôtre, sauf si nous tenons absolument à privilégier le « nivellement par le bas » et entreprendre toute réforme législative en la basant sur un postulat de faiblesse !

Mais l’institution de ce droit idéal est impossible sans un droit de la sécurité sociale plus clément et généreux. C’est ce droit qui rendra à l’employeur son pouvoir de gérer son entreprise selon les règles de management communément admises. Nous parlerons alors d’un véritable droit social dans la forme et le fonds. Toutes les parties doivent participer à l’effort collectif. Les employeurs doivent perdre ce véritable usage de recruter sans immatriculer le nouveau salarié, les employés doivent utiliser les prestations offertes par le droit de la sécurité sociale sans stratagèmes, sans développer une mentalité « d’assistanat » et l’État doit œuvrer sérieusement afin de sortir définitivement la CNSS de la léthargie dans laquelle elle se trouve !

Comme nous le précisions ci-dessus, la population aurait été littéralement ravagé sans la constitution d’un fond dont le montant a été constitué grâce à la générosité d’entreprises et de citoyens et aussi de lignes d’endettement.

Malgré la faiblesse des montants distribués, parfois « au porte à porte », les bénéficiaires ont pu assurer leurs besoins essentiels.

– Digitalisation de certaines dispositions légales

Durant cette période, nos autorités ont institué plusieurs mesures permettant d’avancer dans le domaine de la digitalisation des opérations effectuées par l’entreprise.

Il faut saluer ces avancées et encourager toute mesure qui permettrait la gestion de l’entreprise en réduisant voire même en supprimant totalement le contact humain è chaque fois que cela ne porte pas atteinte aux intérêts de l’une des parties. C’est de ce contact humain que Covid-19 se nourrit pour se propager dans nos cités et nous devons l’isoler par le recours au digital dès que possible.

Voici les mesures prises mais il y a encore tant à faire !

– Numérisation :

. de toutes les formalités déclaratives et de paiement auprès de la CNSS;

. des travaux de l’assemblée générale ordinaire annuelle des société. Rappelons que cette assemblée doit se réunir au plus tard dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice social afin d’approuver les comptes et d’affecter le résultat comptable. À vrai dire, cette assemblée ne se réunit que dans les sociétés de grosses tailles, notamment celles qui sont cotées à la bourse des valeurs. Les autres peuvent être départagées en deux lots différents, celles qui ne réunissent jamais l’assemblée en infraction aux dispositions du droit des sociétés et celles qui procèdent, selon le jargon des spécialistes, à une « assemblée tournante »[16].

Compte tenu des sanctions prévues par la loi en cas de carence en la matière, la possibilité de réunir l’assemblée à l’aide de moyens électroniques sera sans doute bien accueillie !

. des opérations effectuées auprès de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) : certificats négatifs, brevets, marques et enseignes.

L’institution du tribunal numérique constitue également une avancée remarquable qui permettra, sans doute, de réduire les temps d’attente lors de la résolution des litiges.

Cet article, comme vous l’avez constaté, est une succession d’idées et d’ébauches dans un domaine vaste et complexe. Les enjeux sont beaucoup plus importants que nous pourrions le penser car il s’agit en réalité d’une réforme du droit de l’entreprise qui engendrera celle de toute notre société. L’entreprise et la famille sont les cellules essentielles qui constituent notre société et ces deux cellules sont en symbiose totale dans les entreprises familiales qui forment la grande majorité du tissu économique. De ce fait, réformer le droit de l’entreprise en faisant une large place aux entreprises familiales doit être une priorité pour notre bien-être collectif !

Ce n’est pas un rêve mais une nécessité et cette crise majeure du Covid-19 nous en aura démontré l’urgence absolue. Le processus a déjà commencé par ces mesures urgentes et il ne faut surtout pas s’arrêter et reprendre nos vieilles habitudes dès que le danger sera loin de nous !


[1] Livre V du Code de Commerce sur la prévention des difficultés des entreprises

[2] L’OMS a déclaré au début du mois de mars 2020 que le covid-19 se caractérise par sa propagation mondiale, sous forme de pandémie

[3] Cotées à la bourse des valeurs de Casablanca

[4] Selon la loi, la perte des ¾ du capital doit provoquer la convocation de l’assemblée extraordinaire des actionnaires chargée d’examiner la situation et prendre les mesures nécessaires

[5] SARL régie par la loi 5-96

[6] Seules les SARL qui réalisent un chiffre d’affaires HT d’au moins 50 000 000 DH ou qui prennent la décision volontairement ont un commissaire aux comptes

[7] G.G.I., institué par l’article 5 de la loi de finances pour l’année budgétaire 2007

[8] Institué par le Dahir n°1-03-194 du 11 septembre 2003

[9] Mesures prises dans le cadre du C.V.E.

[10] Article 67 du Code du Travail

[11] La personne morale se caractérise, notamment, par l’écran qu’elle érige entre les tiers et le patrimoine des associés

[12] Un peu plus de deux mois

[13] Pris conformément à l’article 81 de la Constitution

[14] Selon les dispositions du CGI seuls les déficits liés aux dotations aux amortissements sont reportables sans limite dans le temps, ceux qui sont générés par l’exploitation sont reportables avec une limite de 4 ans

[15] Article 10-I-F-2 CGI

[16] Préparation des procès-verbaux de l’assemblée et du conseil d’administration et signature de ces documents par envoi à chaque personne concernée

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