Le premier acte juridique d’un entrepreneur est celui qui permet la création de la structure juridique dans laquelle seront effectuées toutes les opérations d’exploitation et d’ordre stratégique. Il est, donc, très important d’entourer cette étape des précautions nécessaires afin d’éviter les situations d’incohérence lourdes de conséquences. Combien d’opérateurs ont fait ce choix de la forme juridique sans étude préalable et ont payé cher cette négligence.
Plusieurs critères sont à examiner lors de la prise de cette décision de gestion capitale.
Les critères de la responsabilité légale du chef d’entreprise et du coût fiscal sont omniprésents mais, dans les faits, ils sont souvent évalués de manière superficielle. Celui de la gestion patrimoniale n’est examiné que lorsque la situation familiale de l’entrepreneur le rend suffisamment pertinent. Cette importance n’a pas généré suffisamment de cohérence, comme le montre la problématique qui entoure la gestion et la transmission de l’entreprise familiale.
Celui de la prise en considération de la personne, qui constitue l’ossature du droit des sociétés, n’est étudié que dans les cours de droit. Pourtant, c’est ce critère qui détermine de la manière la plus nette les incidences fiscales et l’étendue de la responsabilité du chef d’entreprise.
Naturellement, tout entrepreneur souhaite optimiser la gestion fiscale de son activité tout en limitant sa responsabilité envers un éventuel passif. De ce fait, il aura tendance à éviter la forme juridique de l’entreprise individuelle qui entraîne une responsabilité indéfinie et illimitée, sa personne étant prépondérante. En cas de difficulté de l’entreprise, il aura à répondre de toutes les dettes professionnelles en exposant ses biens propres.
Néanmoins, il serait nécessaire d’examiner cette responsabilité compte tenu de la nature de l’activité et de l’expertise de l’entrepreneur. Il est fort probable que l’entreprise individuelle constitue le meilleur choix si le risque professionnel est réduit. Ainsi, l’entrepreneur profitera d’un coût raisonnable en matière de gestion et, surtout, d’une fiscalité adaptée.
Rappelons qu’en matière fiscale, le bénéfice réalisé par l’entreprise individuelle est assujetti à l’impôt sur le revenu selon le barème progressif en vigueur. Comme nous avons eu l’occasion de le souligner, ici, dans un article précédent, la progressivité de l’impôt offre l’avantage d’une fiscalité plus équitable.
Par ailleurs, selon la nature de l’activité et le montant des revenus générés par l’entreprise, la loi propose des régimes simplifiés qui conviendraient davantage à chaque situation.
Dans certains cas, le projet d’entreprise est mené par plusieurs personnes, qu’elles soient membres d’une même famille ou pas. Il est alors nécessaire de faire le choix de la forme juridique dans la catégorie des sociétés.
Cette étape devient plus complexe et requiert, habituellement, la consultation d’un expert. Les opérateurs ont tendance à fuir les sociétés dites « de personnes » car ces dernières sont caractérisées par une responsabilité solidaire et indéfinie des associés qui ont tous la qualité de commerçants.
La société de personnes la plus utilisée est la « société en nom collectif » – S.N.C.
Ses créanciers peuvent poursuivre l’un des associés pour le paiement des dettes sociales après avoir mis en demeure vainement la société par acte extra-judiciaire et un délai de huit jours. L’associé répondra, alors, des dettes de la société et engagera son patrimoine personnel.
Avec la réserve évoquée ci-dessus, relative à la stabilité de l’activité et le professionnalisme des associés, il est vrai que cette forme juridique doit être choisie avec toute la prudence car en affaires, malheureusement, rien n’est sûr !
Les personnes qui recherchent une sécurité suffisante se dirigent toujours vers le choix d’une personne morale classée parmi les « sociétés de capitaux ».
Ces sociétés offrent la sécurité car la responsabilité des associés ou actionnaires demeure limitée au montant de leurs apports, quoi de plus rassurant ?
L’entrepreneur marocain a usé et abusé de cette forme juridique en optant pour la société anonyme ou la société à responsabilité, la commandite par actions ayant moins de succès. Mais son comportement a été modifié par la profonde réforme du droit marocain des sociétés.
L’évènement qui a déclenché ce processus est l’adoption du Dahir n° 1-96-124 du 30 août 1996 portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes. Avant cette date, la forme juridique la plus « célèbre » était la société anonyme qui était régie par une vieille loi adoptée sous le régime du protectorat français.
Le caractère précaire de cette législation a largement détourné ses objectifs. La société anonyme a été « pensée » pour réunir les capitaux nécessaires aux gros projets économiques. C’est elle, ne l’oublions pas, qui a permis la révolution industrielle.
Au Maroc, elle a été longtemps appréciée car elle permettait un véritable abri, un anonymat complet.
Combien d’opérations immobilières « juteuses » ont été réalisées sous cet abri, sans aucune incidence fiscale. Il a suffi de réunir une assemblée générale, d’opérer les transferts d’actions nécessaires, de mettre à jour le dossier spécial auprès des services de la conservation foncière…..et le tour est joué !
Le bien immeuble dont la société anonyme est propriétaire change de mains, en toute discrétion…
D’autres opérations, tout aussi profitables ont été permises par cette forme juridique dans le même « secret des affaires ».
La loi 17-95 a mis fin à ces pratiques. Elle a redonné ses lettres de noblesse à la société anonyme en la recapitalisant et en la dotant de moyens de gestion et de contrôle efficaces. Le commissaire aux comptes qui est, en même temps, le comptable de la société ou, mieux encore, un des administrateurs, fait partie d’un passé révolu. Il doit être, aujourd’hui, un expert inscrit à l’ordre.
Quant aux nombreuses dispositions pénales contenues dans la loi 17-95 (151 sur 454 articles – 33.26%), il est certain qu’elles sont le motif principal de l’extraordinaire vague de migration des actionnaires de sociétés anonymes vers une forme plus clémente et moins rigoureuses, la société à responsabilité limitée.
Ce mouvement a été salutaire pour notre économie, réservant la société anonyme aux grosses affaires, malgré le fait que la loi en vigueur, que nous avons « importée » du droit français, comporte quelques imperfections. Nous avons adopté, quasi intégralement, la loi française abrogée du 24 juillet 1966 alors que ce texte était en pleine refonte afin de l’adopter au développement économique et social.
Depuis, l’entrepreneur marocain opte de manière systématique pour la S.A.R.L., instituée par la loi n° 5-96 du 13 février 1997, devenue le véhicule juridique idoine pour gérer ses affaires sans trop courir de risques. Dans les faits, cette sécurité juridique disparait entièrement dès que l’entrepreneur est obligé de consentir des garanties personnelles à l’occasion de l’obtention d’un crédit bancaire. Par ailleurs, une bonne lecture de la loi permet de constater qu’elle est aussi assez « pénalisée ».
Ce mouvement est catalysé par l’intervention constante de notre législateur qui a jugé bon, à coup de réformes, d’utiliser la S.A.R.L. pour inciter les opérateurs informels à opter pour une gestion transparente. Il a, par exemple, institué la S.A.R.L sans capital social minimum, une réelle prise de liberté avec les grands principes et l’esprit du droit des sociétés. Cette décision a été mise en place graduellement en fixant, dans un premier temps, le capital social à 10 000 DH (Dahir n° 1-06-21 du 14 Février 2006) puis en supprimant toute contrainte en matière de capital social, les associés pouvant en fixer le montant librement (Dahir n° 1-11-39 du 02 Juin 2011).
Il a aussi permis la constitution de la S.A.R.L. d’associé unique, ce qui, de l’avis de la plupart des juristes, constitue une véritable hérésie !
Il l’a fait de la manière la plus directe en précisant qu’« en cas de réunion en une seule main de toutes les parts d’une société à responsabilité limitée, la société continue » (article 48 de la loi 5-96).
Cette particularité présente un inconvénient majeur car la société constitue un acte juridique de nature contractuelle.
Or, selon les fondements du droit civil et celui des affaires, il n’est pas concevable d’imaginer un contrat conclu par une personne avec elle-même. Ce principe est confirmé par notre droit et d’autres législations qui mentionnent toujours le pluriel lorsqu’il s’agit des parties contractantes, par opposition aux actes juridiques unilatéraux.
En comparaison, le législateur français, placé dans la même problématique, a pris beaucoup moins de risque en instituant l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée – E.U.R.L. – (loi française du 11 juillet 1985). Il a étendu la limitation de la responsabilité à l’entreprise individuelle car, très probablement, il a voulu éviter d’écorcher l’un des grands principes du droit.
Citons quelques exemples pittoresques. L’associé unique de la S.A.R.L. se réunit en assemblée générale, se lit les rapports de gestion et prend les résolutions nécessaires à la bonne marche des affaires.
Tout cela, il est vrai, facilite les procédures mais que devient, dans ce contexte, l’exercice périlleux du choix de la forme juridique de l’entreprise ?