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La résilience de nos entreprises familiales en période de crise du COVID 19

La résilience de nos entreprises familiales en période de crise du COVID 19

« Lorsque l’économie éternue, les entreprises familiales ont froid. Maintenant que l’économie a été enrhumée, les entreprises familiales souffrent de pneumonie »

Dale G. Caldwell  / In Dale G. Caldwell, (2020),Family business and coronavirus fears, Family Business Magazine.

Depuis la fin de la décennie 90 et le début des années 2000, nous étions entrés dans une nouvelle ère, qui inaugure une occurrence plus fréquente des perturbations, une plus grande volatilité des contextes social et économique pour les entreprises, les investisseurs et les familles. Il est courant de décrire l’environnement actuel comme étant volatile, incertain, complexe et ambigu. La crise provoquée par le COVID 19 a peut-être, par sa nature, présenté une plus grande intensité et imprévisibilité par rapport aux autres crises, mais les acteurs économiques sont de plus en plus conscients qu’ils devront de plus en plus faire face à des perturbations périodiques et généralisées telles que la tragique pandémie du Covid-19 que nous vivons actuellement.

Dans ces circonstances, les entreprises doivent innover en permanence, anticiper de manière pro-active les perturbations et envisager une diversification plus large de leurs activités pour survivre. Les familles derrière les entreprises familiales doivent elles-mêmes être innovantes, agiles et interroger en permanence leur capacité de résilience.

Une chose est certaine, les familles et les entreprises résilientes qui traverseront cette crise du coronavirus devront alors se préparer à la prochaine perturbation et à la suivante, car de nouvelles perturbations sont à venir. Les entreprises progressistes envisagent dès maintenant comment elles peuvent devenir plus résilientes face aux crises.  La question qui se pose aujourd’hui s’interroge autour des leviers de la résilience de nos entreprises familiales et sur la manière de les aider à renforcer cette résilience et à mieux se préparer à cette nouvelle ère qui ne cessera de nous lancer des avertissements.

L’attitude des entreprises familiales face à la crise peut s’avérer destructive si la sagesse familiale est absente

Comme le note si bien le professeur Davis[1], le contexte de la crise vient aggraver le niveau de stress et d’anxiété que vivent les dirigeants et les associés des entreprises familiales de par le monde. Les associés des entreprises familiales vivent dans un contexte où leur patrimoine financier, leur effort et leur background familiaux sont impliqués dans leurs entreprises à l’encontre de la situation d’actionnaires ordinaires optimisant leur portefeuille sur différents marchés financiers et différents vecteurs d’investissement. Cette implication est conjuguée à une volonté des familles de préserver l’entreprise pour la transmettre aux prochaines générations. La crise du COVID 19 de par son imprévisibilité et sa profondeur vient ébranler l’espoir de voir les générations futures continuer l’œuvre familiale. Conjuguée à un niveau de peur, d’anxiété au sein des familles, la crise ramène aussi un manque de visibilité sur les affaires. Ces trois facteurs peuvent s’avérer destructeurs et pousser à  un déraillement total de l’entreprise s’ils arrivent à cultiver un climat conflictuel entre les associés et affaiblir les chances de voir émerger des décisions raisonnées et consensuelles capables de permettre à l’entreprise de résister, d’anticiper pour permettre une sortie de la crise et surtout de reconstruire la vision familiale et assurer la régénérescence de l’entreprise et la continuité de l’aventure entrepreneuriale dans un contexte de plus en plus hostile et imprévisible.               


[1] Davis J. A. (2020), Family Resilience in the Time of Corona, Cambridge Family Enterprise Group.

Figure 1. in Davis J. A. (2020), Family Resilience in the Time of Corona, Cambridge Family Enterprise Group.

La crise interpelle fondamentalement le maintien du consensus et de la cohésion familiaux pour permettre aux facteurs de résilience spécifiques aux entreprises familiales de jouer pleinement leur rôle pendant cette période et lors de la période post crise. En effet, si la résilience traduit d’abord la capacité à traverser les périodes les plus difficiles ; elle se manifeste au sein des entreprises familiales de la relation d’amour qu’ont les associés pour leur entreprise. L’entreprise familiale est une entreprise qui est née dans la tête d’un entrepreneur avant que celui-ci ne réussisse à la faire grandir, mais surtout la mettre au centre des questions familiales quand sa famille elle-même a grandi. De ce fait, l’entreprise familiale est rattachée de manière congénitale à la famille et toute crise qui la touche affecte directement les membres de la famille. Cette composition crée un environnement tout à fait spécifique puisque les associés ont une position atypique, leur approche d’investissement s’inscrit dans le long terme et quand les temps sont difficiles, ils mobilisent leur patrimoine personnel pour appuyer l’entreprise au-delà des considérations de rentabilité.    Dans la même lignée, tout au long du processus de développement, un dosage équilibré est construit entre les objectifs de croissance et les besoins de la famille en liquidité. Cet équilibre échafaude profondément la politique financière qui dans notre sens englobe la politique de l’investissement, du financement et de dividendes. La famille étant inscrite dans une logique de pérennisation et de développement à long terme place la dynamique d’investissement au cœur de sa vision, tente au maximum de maintenir l’indépendance et la résilience de sa stratégie en assurant l’autofinancement de ses projets d’investissement. Cette gestion en bon père de famille fait de sorte que toute décision d’investissement est mûrement réfléchie, s’inscrit dans une logique de création de valeur à long terme loin du dictat de la rentabilité immédiate et fait appel à une politique priorisant l’autofinancement. La réussite d’une telle stratégie repose fondamentalement sur la rétention des bénéfices et l’accumulation de la trésorerie pour accroitre la flexibilité financière de l’entreprise et lui permettre de continuer sa traversée même dans les temps les plus difficiles. La majorité des études empiriques s’accordent sur le fait que les entreprises familiales ont mieux résisté pendant les périodes de crise passées.    Mais si l’engagement familial qui repose lui-même sur la confiance et la destinée commune qui animent le lien familial sont au cœur de cette résilience, il devient indéniable que toute variable qui pourrait altérer la cohésion familiale pourrait détruire le socle de cette résilience jetant l’entreprise aux pâtures du méconnu. 

 Il devient donc important de réfléchir aujourd’hui plus que jamais aux leviers à renforcer pour permettre à l’entreprise familiale de préserver les atouts qui sont les siens et qui sont nés dans la force de l’interaction viscérale entre la réussite d’une famille et celle de l’entreprise.  Nous avons voulu dans cette note lancer la réflexion sur les leviers de la résilience des entreprises familiales marocaines en partant du fait que celles-ci sont un des principaux facteurs de stabilisation économique et sociale et à un instant où la reconfiguration des chaines de valeur provoquée par la crise du COVID pourrait remettre en cause et de manière profonde la donne des investissements étrangers au Maroc. Les entreprises familiales sont enracinées à leur territoire et sont l’un des leviers majeurs pour permettre à notre pays de résister pendant cette période à court terme et pour relancer la dynamique de croissance lors des phases post crise. Notre réflexion a été construite autour de l’idée que toute action de renforcement devrait d’une part, renforcer les facteurs de résilience des entreprises familiales sachant que ceux -ci sont ancrés dans la relation avec la famille et d’autre part, désactiver les facteurs qui pourraient affaiblir la pertinence des actions menées par ces entreprises tant à court terme qu’à long terme.     

Nos propositions sont l’aboutissement d’un travail de recherche dédié aux entreprises familiales marocaines  

Toutes les propositions faites sont le fruit d’un calendrier de recherche lancé il y a quelques années dans le cadre de la chaire « entreprises familiales » de ESCA école de management. Ce qui nous permet aussi aujourd’hui de disposer d’une prise de recul suffisante et fondée pour jouer le rôle d’une force de proposition auprès de l’ensemble des parties prenantes. La seconde idée qui a animé notre réflexion est que de manière différente des autres réflexions ayant traité de cette thématique, nous défendons âprement que toute action quelque soit son horizon doit être forgée dans un cadre qui prône la dynamique de l’interaction entre les deux composantes : celle de la famille et de l’entreprise et ne devrait pas se retreindre aux actions sur la seule sphère familiale ou l’entreprise prise isolément. Nos travaux sur la gouvernance des entreprises familiales ont renforcé notre conscience que toute manœuvre qui ne prend pas en compte cet équilibre pourrait s’avérer insuffisante pour ces entreprises.

Deux dimensions ont été identifiées, une première qui vise à renforcer la capacité de résilience à court terme que nous intitulons « la dimension de la survie » et une seconde qui a pour finalité d’instaurer les fondamentaux d’une nouvelle dynamique à moyen et à long termes que nous appelons la dimension de la régénérescence.  Nous avons proposé des leviers sur quatre axes pour renforcer ces deux dimensions.

  • Mettre en place d’une gouvernance qui éclaircit l’interface famille-entreprise, apaise les conflits familiaux et préserve la cohésion et le consensus familiaux en période de crise 
  • Promouvoir un leadership et une culture de confiance qui permettent de prendre des décisions sages et parfois difficiles :
  • Le manque de visibilité accentué par la crise nécessite une approche centrée sur l’agilité du système de pilotage, un pilotage local des actions et le renforcement de la veille informationnelle
  • La crise nécessite une optimisation des ressources à court terme et une stratégie de « reputation bulding » à long terme pour accroitre les possibilités de développement post crise.

Cette crise nous a montré que certes les questions de la vision, des ressources et des structures sont fondamentales, mais cette période montre aussi que la famille est le fondement ultime d’une entreprise familiale et ce encore plus que les associés familiaux eux même pris individuellement.

Cette crise interpelle aussi un renouveau du leadership au sein de nos entreprises familiales :

  • Un leadership de confiance qui peut prendre des décisions sages, justes et parfois difficiles
  • Un leader qui concentre l’attention autour des réalisations nécessaires et encourage le consensus, la collaboration et la résolution de problèmes
  • Un leader qui exprime l’espoir et éclaircit les objectifs pour accroitre l’adhésion (pourquoi est-il important de passer à travers cela)
  • Un leader qui est ouvert à toute proposition émanant du terrain pour accroitre la proactivité et l’anticipation 
  • Un leader qui stimule le talent familial et encourage l’activisme et l’engagement des membres familiaux (tant en tant qu’associés, créateurs de valeurs et d’idées, administrateurs et membres des conseils,…)    

Il est indéniable que la puissance publique doit aussi pleinement s’impliquer à travers l’allégement du cadre institutionnel qui pèse sur les entreprises familiales ou encadre leurs possibilités de développement. Nous avons recensé les leviers suivants :

  • D’abord, les dispositifs d’aide doivent cibler les entreprises fragilisées par la crise et ayant une plus grande contribution à la valeur ajoutée sociétale (salariés, valeur ajoutée économique, impôts et taxes,…) puisque se sont celles dont la disparition serait dommageable pour notre écosystème.
  • Ensuite, les grandes entreprises familiales, plus solides peuvent contribuer à sauvegarder l’écosystème socio-économique local. D’une part, en accélérant les paiements des créances aux PME pour faciliter le renflouement de leur trésorerie ; d’autre part en privilégiant les fournisseurs locaux, même s’ils sont un peu plus coûteux. Un pacte local associant la région, les entités représentatives et les entreprises elles-mêmes serait le bienvenu en ces temps de crise.
  • En outre, revoir les dispositions fiscales pour accroître leur rôle incitatif pour les entreprises familiales
  • Revoir l’imposition des dividendes distribués aux associés membres de la famille en prévoyant une exonération de la RAS sur le montant distribué à l’instar de ce qui est prévu pour les sociétés mères associées soumises à l’IS. La finalité étant de rendre flexible l’interface entre l’entreprise et la famille (liens de trésorerie) et prendre en compte le fait que l’associé familial supporte un risque plus élevé que celui d’un actionnaire ayant la possibilité d’optimiser son investissement et de gérer son risque de manière plus large.
  • Revoir les dispositions applicables à la déductibilité des intérêts des comptes courants associés en augmentant le plafond des comptes courants servant de base de calcul des intérêts déductibles et qui correspond actuellement au montant du capital social et revoir à la baisse l’imposition des intérêts sur comptes courants associés versés aux personnes physiques.
  • Enfin, mettre en place un ensemble de dispositifs d’appui sur la base de textes lisibles et proposer des actions réalisables par les entreprises.

Nous prenons pour illustration la note circulaire récemment publiée par la DGI qui précise les modalités de bénéficier par les entreprises en difficulté du fait de la cries COVID 19 de l’exonération fiscale de l’indemnité d’assistance versée par elle aux salariés en arrêt de travail. Toutes les discussions menées par les groupes de réflexion ont conclu au manque de clarté et à la difficulté de mise en œuvre de ces dispositions prévues sur la période allant du 1er avril au 30 juin.[1]    

En synthèse, les entreprises familiales ont une ADN qui les prédisposent à mieux résister en période de crise. Cette ADN s’appuie sur des modèles spécifiques tant en ce qui concerne leur rapport au temps avec une orientation long terme, leur politique de redistribution moins vorace, leur prise de décision rapide grâce à leur souplesse et leur meilleure anticipation du fait de leur encastrement territorial. La bonne nouvelle est qu’une famille et une entreprise capables de traverser une adversité grave seront probablement mieux préparées à la prochaine perturbation et intégreront mieux la vague de crises qui deviendra de plus en plus irréversible. La confiance, le jugement, les compétences, l’unité de la famille et sa fierté devront être renforcés et ancrés dans la culture de la famille, la dynamique de l’interface entre la famille et l’entreprise devra elle-même être revue sur plusieurs axes, devra renforcer les atouts de l’entreprise face à son environnement et insuffler la capacité à attirer les prochaines générations[2]. A ces conditions près les entreprises familiales auront une meilleure chance de surmonter les prochaines phases de perturbation auxquelles elles seront confrontées.


[1] En effet, seules peuvent bénéficier de ce dispositif les entreprises mises en difficulté par la crise actuelle. Or, le critère retenu pour qualifier une entreprise en difficulté a été rattaché au taux de baisse d’activité de l’entreprise sur la période COVID 2020. Le chiffre d’affaires pris en considération pour estimer cette baisse courant 2020 correspond au montant des ventes réalisées au cours de la même période de l’année 2019. Cette baisse devrait être justifiée par les documents comptable : grand livre, journal des ventes, main courante, etc. Or, cela signifierait implicitement qu les comptes des sociétés concernées permettent de cerner avec exactitude le chiffre d’affaires dument réalisé sur la période allant du 1er avril au 30 juin. Seulement, nous savons tous que qu’il serait une gageure de considérer que nos entreprises mettent en œuvre un principe de rattachement de leurs produits sur une période mensuelle. Tous les acteurs s’accordent pour cette raison sur la difficulté de justifier de manière fiable cette baisse d’activité sur la base des documents comptables.     

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