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La prescription du chèque : Une farouche incompréhension ou un désordre total ? (1)

La prescription du chèque : Une farouche incompréhension ou un désordre total ? (1)

Ça commence par une fable, celle de six aveugles originaires de l’Hindoustan, instruits et curieux et qui désiraient, un jour de grand soleil, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir. Ils décidèrent que, même s’ils n’étaient pas capables de le voir, ils allaient essayer de le sentir. Tous allèrent donc là où l’éléphant se trouvait et chacun le toucha.  Le premier s’approcha de l’éléphant, et, alors qu’il heurta son large flanc. Il s’exclama : « Oh ! Mon dieu, que c’est dur, sûr, l’éléphant est un mur ! ». Le deuxième, tâtant une défense, s’écria « Oh ! Que c’est rond, lisse et pointu! Selon moi, c’est l’évidence, cet éléphant est une lance ! ». Le troisième se dirigea vers l’animal, Pris la trompe ondulante dans ses mains et dit : « Pour moi, l’éléphant est un serpent ». Le quatrième tendit une main impatiente, palpa le genou et fut convaincu qu’un éléphant est un arbre de chez eux !  Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette merveille d’éléphant et un éventail ! ».  Le sixième chercha à tâtons l’animal, et, s’emparant de la queue qui balayait l’air, perçu quelque chose de familier : « Je vois, dit-il, l’éléphant est une corde ! ».

Et voilà que nos six aveugles, criant, haut et fort, chacun ayant un peu raison, mais tous globalement tort.

Tombant chacun dans un excès ou un autre, insistant sur ce qu’il croyait exact. Ils semblaient ne pas s’entendre, lorsqu’un sage, qui passait par-là, les vit. Il s’arrêta et leur demanda « De quoi s’agit-il ? » Ils dirent « Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemble l’éléphant« .

Chacun d’eux dit ce qu’il pensait à ce sujet. Le sage leur expliqua, calmement « Vous avez tous dit vrai. La raison pour laquelle ce que chacun de vous affirme est différent, c’est parce que chacun a touché une partie différente de l’animal. Oui, l’éléphant a réellement les traits que vous avez tous décrits« .

Loin de moi l’idée de vouloir jouer le sage, mais après plusieurs années passées dans une banque et presque autant entre les livres, je me vois contraint de poser cette question : le chèque a-t-il, réellement, les traits que nous décrivons ?

Prescriptions du chèque ou prescription des recours ?

L’écheveau des prescriptions en matière de chèque est caractérisé par sa complexité, ce qui est la source de plusieurs problèmes délicats. L’un d’entre eux est celui qui se pose lorsque le chèque est présenté au paiement plus de un an et vingt jours après l’émission. Commençons par lire (en le simplifiant) l’article (d’ailleurs le seul !) 295 du code de commerce :

Action en recours du

Contre

Se prescrit par

A compter

Porteur du chèque Les endosseurs six mois l’expiration du délai de présentation
Porteur du chèque Le tireur six mois l’expiration du délai de présentation
Porteur du chèque les autres obligés
(un avaliseur par exemple)
six mois l’expiration du délai de présentation
Endosseur Un autre endosseur
(les uns contre les autres)
six mois du jour où l’obligé a remboursé le chèque ou du jour où il a été lui même actionné
Porteur du chèque le tiré (la banque) un an l’expiration du délai de présentation
Toutefois en cas de déchéance ou de prescription, il subsiste une action contre le tireur qui n’a pas fait provision ou les autres obligés qui se seraient enrichis injustement.

A la simple lecture de cet article et sans que nous n’ayons à faire aucun effort, il s’avère que les banquiers marocains utilisent, à tort, l’expression « chèque prescrit » à un moment où ils doivent utiliser l’expression « recours prescrit ».

Y a-t-il un délai pour présenter le chèque au paiement ?

Parce que le chèque n’est pas un instrument de crédit, le législateur a imposé un délai de présentation au paiement relativement bref. L’article 268 du code de commerce distingue cependant deux situations. Rappelons-les :

Le chèque émis

et payable au

doit être présenté au paiement dans le délai[1]

au Maroc au Maroc 20 jours
hors du Maroc au Maroc 60 jours

Autrement dit, un chèque doit être présenté au paiement avant l’expiration de ce délai. Sinon ?

L’article 283 du code de commerce, stipule que le porteur peut exercer ses recours contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés, si le chèque, présenté en temps utile, n’est pas payé et si le refus de paiement est constaté par un protêt.  On en déduit que le non-respect de ce délai a pour conséquence, la perte des recours cambiaires contre les signataires du chèque, voire du bénéfice de la certification, comme le précise l’article 242 du même code « La provision du chèque certifié reste, sous la responsabilité du tiré, bloquée au profit du porteur jusqu’au terme du délai de présentation ».

Il convient, cependant, de relativiser cette conséquence par le fait que le tireur reste tenu de l’obligation légale de laisser la provision voulue jusqu’à l’expiration du délai de prescription (lequel : 6 mois et 20 jours ou 1 an et 20 jours ?) et qu’il continue de garantir le paiement du chèque.

Curieusement, l’article 271 du code de commerce, apportant son lot de difficultés, nous rappelle : « Le tiré doit payer même après l’expiration du délai de présentation ». Le tiré est donc tenu de payer le chèque même après l’expiration du délai de présentation, (tempérons les propos et disons) tant que l’action du porteur n’est pas prescrite (mais la question demeure : contre qui ? le tiré ou le tireur ?).

En tout état de cause, le porteur n’est aucunement fautif de ne pas avoir respecté le délai de présentation, et la sanction du non-respect du délai de présentation pour le porteur doit demeurer la seule perte des recours cambiaires contre les signataires antérieurs.

La règle selon laquelle le chèque est payable à vue se trouve, en outre, prolongée par celle de l’article 273 du code de commerce, consacrant la possibilité d’exiger un paiement partiel. Aux termes de cette disposition, le porteur est tenu d’accepter le paiement partiel offert par le tiré lorsque la provision est insuffisante pour un paiement intégral.

En effet, cet article dispose : « Si la provision est inférieure au montant du chèque, l’établissement bancaire tiré est tenu de proposer le paiement jusqu’à concurrence de la provision disponible. Le tiré ne peut refuser ce paiement partiel ». La règle posée signifie, symétriquement, que le porteur est en droit d’exiger un paiement dans la limite de la provision disponible.

La prescription de l’action du porteur contre le tireur lorsque le chèque est présenté plus de six mois et 20 (ou 60) jours après l’émission

Il résulte de l’article 295 du code de commerce que, si le porteur d’un chèque peut exercer son recours contre le tiré pendant un an à partir de l’expiration du délai de présentation, l’établissement bancaire devant procéder au paiement pendant ce délai quand le compte a une provision suffisante, il n’en demeure pas moins que le recours contre le tireur qui n’a pas maintenu la provision se prescrit par six mois à partir de l’expiration du délai de présentation du chèque, lui-même de vingt (ou soixante) jours à compter de l’émission ;

Passé ce délai, le recours cambiaire contre le tireur qui n’a pas maintenu la provision est atteint par la prescription et tous les actes d’exécution se fondant sur le titre exécutoire cambiaire restent sans effet, le bénéficiaire devant, s’il l’estime opportun, poursuivre l’obtention d’un titre exécutoire de droit commun à charge pour lui de démontrer la créance fondamentale.

Faut-il reconnaître le bénéfice de la prescription à un tireur qui n’avait pas constitué ou maintenu la provision ? Le dernier alinéa de l’article 295 ajoute : « Toutefois, en cas de déchéance ou de prescription, il subsiste une action contre le tireur qui n’a pas fait provision…».

Cette action n’en est pas moins une action cambiaire, de sorte que le porteur n’a pas la charge de la preuve de la créance fondamentale. Elle s’ajoute à l’action de droit commun qui n’a jamais cessé d’exister et qui survit, même si le tireur a fourni provision, tant qu’il n’y a pas eu paiement.

L’action de droit commun fondée sur le rapport fondamental peut être exercée malgré la péremption du chèque. Le porteur privé de recours cambiaires ne serait en droit d’obtenir paiement qu’en se soumettant au droit commun des obligations.

Dans cette situation le recours cambiaire du porteur contre le tireur ne peut se voir opposer la prescription normale de six mois, ni même la prescription d’un an. Ce recours cambiaire est désormais soumis à la même prescription que la créance fondamentale.

L’action cambiaire du porteur à l’encontre du tireur n’est donc pas prescrite. La reconnaissance d’un recours cambiaire opère un renversement de la charge de la preuve. C’est au tireur de démontrer le bien-fondé de l’exception qu’il invoque et de prouver que la dette n’est pas causée, et non pas au porteur de prouver que sa créance a une cause légitime. La position du porteur se serait trouvée considérablement renforcée par cette analyse, mais l’équité n’y aurait peut-être pas trouvé son compte.

Le dernier alinéa de l’article 295 laisse survivre (à notre avis) l’action cambiaire du bénéficiaire et pas seulement l’action fondamentale : « il subsiste une action… », ce qui postule une action de nature cambiaire puisqu’il n’est pas besoin d’une disposition particulière pour admettre la survie et l’action fondamentale qui est le fruit d’un principe général.

(A suivre)

[1] Les délais prescrits pour le chèque ne comprennent pas le jour qui leur sert de point de départ (Article 303 du code de commerce).

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