La détermination des prix de transfert des biens et services par les groupes multinationaux constitue l’une des questions les plus problématiques en fiscalité internationale. Sa complexité et les difficultés que rencontrent les administrations fiscales de tous les États pour repérer les situations dans lesquelles les prix de transferts sont majorés ou minorés abusivement, sont largement débattus aux niveaux national et international. Les recommandations les plus fréquentes, dont font partie celles de l’Organisation pour la Coopération et Développement Économique (O.C.D.E.), convergent vers la nécessité de produire une documentation appropriée en quantité et en qualité. L’entreprise concernée doit être en mesure de justifier le fait qu’elle comptabilise des opérations « intragroupe » de vente et/ou d’achats de biens et services, selon les principes de « libre concurrence ». Dans le cas où la détermination de ces prix ait été influencée par les liens de dépendance existant à l’intérieur du groupe multinational, l’entreprise se placerait dans une zone de risque fiscal latent.
Au Maroc, les vérifications opérées par l’administration fiscale en la matière ont suscité, de l’avis général, une assez forte désapprobation quant aux méthodes utilisées, conformément aux dispositions des articles 213 et 214 du Code Général des Impôts (C.G.I.). Il a été reproché aux vérificateurs d’opérer des redressements sur la base de données comparatives qu’ils détiendraient sans en communiquer la teneur à l’entreprise vérifiée.
Compte tenu des nombreux litiges provoqués par ces redressements et aussi en raison d’une tendance à l’harmonisation suggérée par les organismes internationaux, les autorités marocaines ont jugé nécessaire de réagir par voie législative.
La loi de finances pour l’année 2015 a institué une procédure d’ « accord préalable » en matière de détermination des prix de transferts des biens et services par les groupes multinationaux. Le Maroc se place ainsi dans une situation quasi unique. La plupart des législations des autres États, notamment ceux avec lesquels le Maroc a conclu des conventions en vue d’éviter la double imposition, ont suivi les recommandations de l’O.C.D.E. et fournissent des détails techniques, selon des normes admises, sur les méthodes utilisées lors de la détermination des biens et services transférés à l’intérieur du groupe. Certains États, en marge de cette règlementation, acceptent d’examiner des demandes d’accord préalable sur les prix de transfert. Ils le font sous couvert des « procédures amiables » instituées par les conventions fiscales internationales conclues par les États en vue d’éviter la double imposition.
Rappelons rapidement la teneur de ces dispositions qui ont ajouté les articles 234 bis et 234 ter au C.G.I.
Article 234 bis – nouveau
« Les entreprises ayant directement ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées hors du Maroc peuvent demander à l’administration fiscale un accord préalable sur la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214 – III pour une durée ne dépassant pas quatre année. Les modalités de conclusion dudit accord sont fixées par voie réglementaire »
Article 234 ter – nouveau
« L’administration ne peut remettre en cause la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214-III ayant fait l’objet d’un accord préalable avec l’entreprise…. ».
Nous n’examinerons ici que certains aspects formels de cette mesure. Les considérations d’ordre technique ainsi que l’harmonisation de la nouvelle législation avec l’environnement mondial seront étudiés de manière approfondie dans une prochaine publication.
Tout d’abord, il serait bon de savoir ce que le législateur entend par les mots « peuvent demander » contenus dans l’article 214-bis. S’il s’agit d’une option qu’en serait-il des contribuables qui ne souhaiteraient pas s’en prévaloir ?
Seraient-ils automatiquement placées dans une situation défavorable devant les entreprises ayant sollicité et obtenu l’accord de la Direction Générale des impôts (D.G.I.), avec tous les risques que cela ne manquerait pas d’entraîner ?
Si cette dernière interprétation n’est pas écarter, alors, les nouveaux articles 234-bis et ter perdraient toute efficacité juridique…
Sinon, ces nouvelles mesures devraient être considérées comme une garantie juridique que l’entreprise déciderait de prendre si elle juge que la détermination de ses prix de transfert serait difficilement défendable en cas de vérification. Mais, là aussi, il existe un risque non négligeable, celui d’essuyer un refus d’accord préalable.
D’autre part, nous le savons tous, les groupes multinationaux procèdent à la détermination des prix de transferts des biens et services selon de nombreux critères parmi lesquels certains sont étrangers aux disciplines liés à la gestion des entreprises.
Je me rappelle d’un enseignant de l’école des Hautes Études Commerciales de Montréal qui affirmait qu’il était totalement faux, voire même dangereux, de lier la question relative aux prix de transfert à la fiscalité ou la comptabilité. Le fait de la placer dans une procédure spécifique avec comme seul interlocuteur la D.G.I. pourrait constituer un obstacle supplémentaire.
Voici quelques inconvénients susceptibles de justifier une telle appréhension :
– L’examen d’une demande d’accord préalable requiert des intervenants capables de s’adapter à un haut niveau de technicité dans des disciplines scientifiques (industrie chimique, pharmaceutiques, composants électroniques, etc.);
– Certaines opérations sont actuellement rémunérés par des filiales de groupes multinationaux avec ou sans l’accord de l’administration chargée du contrôle des changes (Office des Changes). En principe, à partir du 1er janvier 2015, cette administration n’est plus habilitée à donner son accord avant celui de la D.G.I. C’est le cas, à titre d’exemple, de la rémunération de l’assistance technique qui pourraient faire l’objet d’un blocage injustifié;
– Un éventuel refus de l’accord préalable de la D.G.I. placerait l’entreprise dans une situation très inconfortable. En plus d’être dans l’impossibilité de procéder, le cas échéant, au transfert de la rémunération, elle pourrait s’exposer à une procédure de vérification au cours de laquelle elle aurait la certitude des redressements qui seraient proposés.
Nous attendons avec impatience le texte règlementaire évoqué par la loi en espérant qu’il nous apportera les réponses à ces questions et à bien d’autres que doivent se poser les opérateurs concernés. Nous espérons aussi que nous réussirons ce pas en avant que l’administration fiscale tente de faire dans un domaine crucial de la fiscalité internationale.