Le rôle économique de l’État a considérablement augmenté, si bien qu’aujourd’hui, dans plusieurs industries et secteurs d’activités, on observe la présence simultanée d’entreprises publiques et privées se faisant concurrence sur un même marché. Selon le classement Forbes Global 2000, un peu plus de 14% des plus grandes entreprises du monde sont des entreprises publiques (classement fondé sur quatre critères : les revenus, le résultat d’exploitation, l’actif comptable et la valeur boursière). Cette présence importante des entreprises publiques rend compte du rôle prédominant de l’État dans le paysage concurrentiel (notamment dans les pays émergents et en développement).
Qu’est ce qui justifie le maintien d’une entreprise publique dans un environnement concurrentiel ?
Les entreprises publiques peuvent constituer un instrument adapté dans les situations de monopole naturel. Un monopole est dit « naturel » lorsqu’il existe dans l’industrie des économies d’échelle très élevées de sorte que seule une entreprise unique peut fournir l’ensemble du marché. En effet, en situation de concurrence imparfaite et de rendement d’échelle strictement croissant (par conséquent de coûts moyens décroissants), la rentabilité d’une entreprise augmente en même temps que son échelle de production. Dans ces conditions, l’entreprise dominante est en mesure d’éliminer ses concurrents à partir d’une guerre des prix, se retrouvant tout naturellement en situation de monopole. Cependant, la position de monopole conduit à la sous-production de certains produits et permet à l’entreprise d’extraire des bénéfices monopolistiques élevés en exigeant des prix élevés. Dans ce contexte, les pouvoirs publics justifient dans la plupart des cas leur intervention en créant une entreprise publique et/ou réglementant une entreprise privée afin d’éviter les abus d’un tel monopole naturel. Les exemples de monopoles naturels les plus fréquents sont ceux de réseaux d’infrastructures, tels que les réseaux ferroviaires, les réseaux routiers et autoroutiers, les réseaux de distribution de gaz, d’eau, d’électricité et les services postaux.
L’État peut aussi décider d’intervenir sur le marché afin de traiter des problèmes d’équité. En effet, certaines couches de la population, telles que les clients les plus démunis et les personnes vivant dans des régions reculées, peuvent être privés de services essentiels notamment dans les industries de réseau (téléphone, chemin de fer, télévision). La gestion de tels services par une entreprise publique permet d’en assurer un accès universel à tous les citoyens.
Bien que ces arguments relatifs aux avantages de la propriété publique soient convaincants, ils n’expliquent pour autant pas pourquoi les mêmes objectifs ne pourraient pas être atteints par des entreprises privées réglementées bénéficiant de subventions. En effet, l’État peut par exemple octroyer des licences aux entreprises privées en leur imposant des obligations de service universel. Il peut aussi accorder des subventions aux entreprises privées impliquées fortement dans la recherche et développement.
Cependant, la réglementation implique de nombreux coûts de transaction. Les révisions contractuelles sont sujettes à de nombreuses négociations ou litiges qui peuvent générer des frais importants. L’existence de ces coûts de transaction justifie qu’il est beaucoup moins coûteux de créer une entreprise publique, et ainsi résoudre les situations imprévues à travers des directives gouvernementales en interne, que de mettre sur pied un régime basé sur des dispositions contractuelles (Chang, 2007).
De plus, en matière de fourniture de service universel, certaines entreprises privées ont montré qu’elles n’étaient pas à la hauteur des attentes des États. C’est notamment le cas de la fourniture de l’électricité en Californie et des chemins de fer au Royaume-Uni.
Notons que dans la plupart des pays, force est de constater que malgré l’ouverture à la concurrence, les entreprises publiques demeurent les principaux acteurs de certaines branches « stratégiques ». En effet, les États conservent des participations dans les entreprises publiques des secteurs de l’énergie (gaz, pétrole, électricité), des transports (ferroviaire et aérien), des télécommunications et des services postaux. La volonté de contrôler ces secteurs clés de l’économie et notamment de les protéger de l’entrée de capitaux étrangers pourrait justifier le maintien d’une firme publique dans un environnement concurrentiel.
Problèmes de neutralité concurrentielle
La neutralité concurrentielle peut se définir comme un cadre juridique et réglementaire dans lequel toutes les entreprises, publiques ou privées, sont soumises au même ensemble de règles, et aucune ne se voit conférer des avantages injustifiés au motif que l’État en est propriétaire ou partie prenante.
En raison de leur statut et de leur histoire, les entreprises publiques peuvent bénéficier de certains avantages qui risquent de nuire à la concurrence. En effet, les privilèges et l’immunité dont jouissent souvent les entreprises publiques sont susceptibles de fausser la concurrence.
Dans les industries de réseau, les entreprises publiques bénéficient fréquemment de monopoles légaux, ou de domaines réservés. C’est le cas de Poste Maroc pour certaines prestations de courrier et ce fut le cas de l’entreprise La Poste (en France) avant l’ouverture totale du secteur à la concurrence (2011). Actuellement, aux États-Unis, le service postal USPS jouit d’un monopole exclusif sur l’utilisation des boîtes à lettre des clients et sur la distribution du courrier. L’existence d’excédents sur le domaine réservé peut alors être une source de financement pour d’autres activités pour lesquelles l’entreprise publique est en concurrence avec des entreprises privées.
Une autre caractéristique des entreprises publiques, qui contribue à fausser les conditions de la concurrence au détriment des entreprises privées, est l’accès plus aisé des premières aux marchés financiers. Grâce à des conditions de crédits préférentiels, les entreprises publiques sont capables de faire d’énormes économies de financement. Ces conditions sont entre autres les taux d’emprunt avantageux et la garantie de l’État. Ces pratiques peuvent avoir l’effet d’une subvention implicite.
Parmi les autres caractéristiques, figurent les exemptions du régime des faillites, les exemptions réglementaires, ou encore les avantages en matière d’information (accès à des données auxquelles les concurrents ne peuvent accéder).
Par ailleurs, l’application du droit de la concurrence ne peut constituer à elle seule la solution aux problèmes de concurrence posés par les entreprises publiques. Il peut également être appliqué des politiques visant à instaurer la neutralité concurrentielle dans les marchés où les entreprises publiques et privées se font concurrence.