Rien de ce que nous avons appris en théorie économique ne nous a préparé à affronter les conséquences de la pandémie du Covid-19. L’ampleur de cette crise est réellement inédite à l’échelle de la civilisation humaine. Aujourd’hui, à cause d’un virus invisible à l’œil nu découvert il y a à peine 4 mois, un humain sur trois est confiné chez lui et donc incapable de se déplacer pour investir, produire et consommer. Jamais les systèmes de production n’ont risqué de s’arrêter aussi brutalement, massivement et concomitamment à l’échelle globale.
Bien prétentieux est l’économiste qui prétendrait savoir ce qu’il faut faire. En revanche, on sait très bien ce qu’il ne faut pas faire. Et c’est justement, ce qui est en train d’être fait par les gouvernements partout dans le monde. L’injection d’importantes liquidités dans l’économie au prix d’un recours massif à l’endettement, en vue d’éviter un arrêt cardiaque aux économies. C’est la recette qui fut adoptée en 2008 et qui est plébiscitée aujourd’hui, même par les chantres de l’orthodoxie budgétaire. Cette approche a quelques chances de réussir, si la pandémie dure quelques semaines, elle est totalement inutile voire dangereuse, si elle prolonge au-delà du mois de juillet. C’est une erreur classique en politique économique que de chercher à résoudre une crise par les mêmes recettes que celle qui l’a précédée. On a vu cela en 1929, en 1973 et en 2008. Les gouvernements en manque d’idées recourent systématiquement aux anciens remèdes.
Une crise au caractère inédit
A la différence près est que nous ne sommes pas en 2008, 2000, 1973 ou en 1929 où les crises étaient souvent financières. En d’autres termes, les marchés des capitaux avaient chaviré, mais les appareils de production étaient restés intacts. On investissait certes moins, certaines unités de production mettaient la clé sous la porte, mais on pouvait toujours produire, consommer et circuler. Le problème était celui du sous-emploi de l’appareil de production. Il suffisait donc d’injecter des liquidités dans l’économie pour combler l’output gap (différence entre ce que l’économie produit réellement et ce qu’elle peut produire potentiellement) et remettre la machine économique en marche. Parfois ça marchait (1929), parfois ça ne marchait pas (1973) et parfois ses résultats étaient mitigés (2008). Mais au moins, on savait ce qu’il fallait faire.
Arrêt brutal de l’appareil productif
Or, ce qui se produit sous nos yeux est inédit. Nous sommes face à une situation d’arrêt brutal et concomitant de l’appareil de production dans plusieurs secteurs à l’échelle globale. Les recettes keynésiennes que les États veulent appliquer sous l’effet de la panique ne conviennent guère à la situation actuelle. Keynes formulait ses recommandations de recours à la dépense publique et à une politique monétaire accommodante, pour porter un outil de production sous employé au plein emploi, en stimulant la demande finale (celle des ménages). Mais, un ménage qui ne peut pas circuler, ne pourra ni travailler ni dépenser. Autrement dit, nous touchons l’essence même des facteurs de production et non leur degré d’utilisation. Cette quarantaine sur les facteurs de production durera aussi longtemps que le Covid-19 sévira. Et compte tenu de l’ampleur et de la rapidité de sa propagation, il est à parier qu’il sévira pendant suffisamment longtemps pour mettre les plus fortes des économies à genoux. C’est le pire des scénarios à envisager pour un économiste.
Le pire est à craindre
Quand on sait que beaucoup d’économies ne sont toujours pas sorties du choc de 2008, on peut aisément imaginer le temps qu’elles mettraient à venir à bout de cette crise. Le recours par les gouvernements à l’endettement pour sauver leurs économies creusera davantage le déficit des finances publiques déjà aux abois depuis la dernière crise. À l’époque, ils s’étaient fortement endettés juste pour sauver quelques banques, aujourd’hui, ils doivent se substituer à des économies à l’arrêt. Aucun pays n’est suffisamment fort pour qu’un seul agent économique (l’État) porte sur ses épaules tous les autres. Car, plus la durée du confinement se prolonge, plus la production ralentira (jusqu’à l’arrêt dans certains cas) et plus les efforts demandés aux gouvernements seront importants. L’image la plus appropriée est celle d’un conducteur poussant sur une pente une voiture dont le moteur a coulé. Il finira tôt ou tard par s’épuiser. Notre seul salut est que le retour à la normale se produise dans quelques semaines, sinon le pire est à craindre.
Anticiper le jour d’après
Car, même en temps de guerre, il suffisait à la partie vaincue de se rendre pour voir son économie redémarrer, quand bien même on lui imposait de lourdes réparations, on ne lui interdisait pas de produire, car c’est justement le moyen pour elle de payer ces réparations. Dans le cas actuel, on ne pourra pas demander un armistice au « Corona virus ». Il faut soit trouver un remède sérieux (les projections parlent de début 2021), soit continuer à injecter des liquidités jusqu’à l’épuisement. En termes économiques, c’est une dépression et pas une récession. Sa durée ne dépendra pas de la qualité des politiques économiques qu’on mettra en place, mais d’un facteur exogène qu’aucun modèle économique n’a pu imaginer, même en temps de guerre.
Un arrêt prolongé de la circulation des gens fera chuter la production nationale et fera grimper les taux de chômage à des niveaux « never witnessed before », surtout dans les gros secteurs employeurs se basant sur le mouvement et la foule et dans le secteur informel. En un mot, le confinement est un remède qui peut s’avérer pire que le mal. Après cette pandémie, il risque de ne plus y avoir d’économie à sauver et il faudra tout recommencer. Mais, si la vie humaine n’a pas de prix, un gouvernement avisé doit anticiper le jour d’après.