Dans le cadre du cycle annuel des Essentiels du Management de l’ESCA, cette e-conférence internationale a rassemblé 4 femmes panélistes
pour débattre des principaux challenges, des facteurs clés de succès et de l’impact de la nouvelle génération de femmes leaders à la tête des entreprises familiales dans la région MENA. Sujet peu creusé jusqu’alors dans cette région du monde, elles ont échangé sur les similitudes et les différences du leadership féminin en entreprises familiales entre le Liban, Dubaï et le Maroc.
Elles ont commencé par analyser l’ensemble des challenges, nombreux et similaires entre les trois pays, auxquels les femmes qui ambitionnent d’accéder à des postes à responsabilité dans les entreprises familiales, se heurtent encore de nos jours. Ces challenges sont d’abord externes, d’ordre religieux, légaux ou sociaux : le poids des mentalités (les filles n’entrent traditionnellement dans l’entreprise qu’après leurs frères), les lois sur l’héritage ou le fait que le nom de famille doit être perpétué, favorisent encore largement les hommes dans l’accès aux postes de pouvoir au sein des entreprises familiales de la région. Les femmes de la famille doivent prouver leurs compétences deux fois plus que les hommes pour se faire accepter. Elles doivent aussi se lancer dans un processus long de reconnaissance de leur légitimé qui passe par plusieurs phases : acquérir d’abord une légitimité personnelle, puis interne au sein de l’entreprise, puis externe auprès des partenaires. Leurs accès n’est pas garanti et leur place en tant que dirigeante encore moins. Les challenges sont aussi d’ordre psychologique car en assimilant ces nombreuses barrières sociales et culturelles, les femmes finissent par se mettre des barrières psychologiques pour ne pas entrer dans l’entreprise familiale. Elles ont souvent peur de décevoir ou d’échouer dans une mission qui leur semble insurmontable.
Néanmoins, celles qui réussissent à accéder à des postes de dirigeantes en entreprises familiales, et il y en a de plus en plus, se posent en vrais role models pour les femmes de la région et partagent un certain nombre de facteurs clés de succès.
Ces femmes savent s’appuyer sur leurs compétences dites « féminines » pour les mettre au service de l’entreprise de façon professionnelle. Par exemple, elles savent professionnaliser leur rôle naturel et informel de chief emotional officer au sein de la famille, capable de gérer les émotions et les egos des différents membres.
Elles savent aussi s’appuyer sur les hommes de leur famille, incontournables dans la culture de la région. Ces pères, frères ou cousins, leur mettent le pied à l’étrier au début de leur carrière et s’avèrent clés pour leur réussite future au sein de l’entreprise familiale.
Elles savent également se faire guider par certaines femmes inspirantes de leurs familles, leurs mères ou grand-mères, qui les ont poussées à se rendre plus visibles qu’elles et à prendre des postes à responsabilité dans l’entreprise familiale.
Par ailleurs, elles savent se positionner en porte-drapeau de la gouvernance de l’entreprise familiale, mettant en place des structures de gouvernance parfois jusque-là peu développées et pourtant indispensables à la croissance de l’entreprise.
Enfin, elles savent gérer le risque, l’ambivalence et la flexibilité au lieu de s’y opposer comme on peut le reprocher parfois aux entreprises familiales. Leurs qualités naturelles et leur style de leadership en font des moteurs précieux pour la croissance des entreprises familiales de la région.
Aujourd’hui, une nouvelle génération de femmes, membres de familles possédant des entreprises dans la région, arrive à accéder à des positions de pouvoir au sein de ces entreprises. Elles ont été formées à l’étranger dans le but de rependre l’entreprise, ont effectué des stages dans l’entreprise et ailleurs, se sont imprégnées de la culture familiale dès leur plus jeune âge, ont été préparées à occuper des positions de pouvoir (actionnaires ou membres du conseil d’administration), ont souvent reçu une éducation paritaire et se trouvent donc psychologiquement et techniquement armées pour reprendre les rênes de l’entreprise, au même titre que les hommes de leur famille. Elles y imposent, en toute confiance, de nouvelles formes de leadership fondées sur l’inclusion « hommes-femmes ». Elles se sentent soutenues et épaulées au sein d’un environnement de confiance, faisant des entreprises familiales des structures particulièrement adaptées à leur épanouissement professionnel.
Pour conclure, il semblerait que plus l’environnement extérieur, fait de normes sociales fortes, est hostile à l’autonomisation et l’émancipation professionnelle des femmes, comme c’est le cas dans certains pays de la région MENA, plus les entreprises familiales peuvent se présenter comme des structures « laboratoires » favorisant l’empowerment féminin. Les femmes y bénéficient d’un climat de confiance unique, d’un mentorship accessible, de valeurs et de vision partagées qui leur permet de se développer professionnellement plus facilement que dans des entreprises non familiales. À l’avenir, si l’on parie que l’empowerment des femmes dans les entreprises familiales deviendra la norme, il ne s’agira plus de se demander comment les femmes trouveront leur place dans ces entreprises mais plutôt comment ces entreprises arriveront à attirer et à retenir les talents féminins!
Par Dora Jurd de Girancourt
Chercheure en Marketing et Communication des Entreprises Familiales
Intervenante à ESCA Ecole de Management
Co-auteure de « Femmes au cœur des entreprises familiales » La Croisée des Chemins 2021.
Synthèse de la conférence du 22 Juin 2021.