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les niches fiscales, assurent-elles vraiment le rôle qui leur est attribué?

Rédigé par Mourad HARICI | Apr 13, 2014 2:57:00 PM

 

Le magazine « Libre Afrique » a fait paraître en ligne un article qui traite d’un des aspects du système fiscal du Maroc. Il y est question, plus précisément, des « niches fiscales » qui ont été instituées par notre législateur en vue de promouvoir et encourager certains entrepreneurs et parfois aussi dissuader les fraudeurs ou combattre l’économie informelle.

Nous avons déjà eu l’occasion de réfléchir aux conséquences dévastatrices de l’évasion fiscale sur le développement économique et l’équilibre social de notre pays.

Le premier paragraphe de l’article cité et très révélateur et semble confirmer amplement nos appréhensions. Nous le reproduisons, ci-après, intégralement :

« Lors de sa récente évaluation de la fiscalité marocaine, le FMI reconnaît l’inefficacité des dépenses fiscales. Comprenez ce système de dérogations sous forme d’exonérations, d’abattements et de taux préférentiels accordés par l’Etat pour soutenir certaines classes sociales, des secteurs d’activités en difficultés ou encourager certains investissements. Le constat du FMI vient relancer le débat entre ceux défendant le maintien de ces dérogations car ce sont finalement des aides remplissant des objectifs socio-économiques, et ceux qui accusent ces niches d’être parmi les sources d’iniquité, d’instabilité et d’inefficacité du système fiscal marocain. Alors, comment concilier ces deux vues diamétralement opposées ? »

À vrai dire, il n’y a pas que ces deux visions qui s’opposent diamétralement, nous sommes dans une perspective simple et élémentaire qui consiste à évaluer les retombées économiques de chaque dépense fiscale consentie par l’État.

Mais il existe beaucoup d’autres moyens d’examiner l’opportunité de créer des niches fiscales afin de prendre la meilleure décision au plan stratégique et mettre en place un système fiscal capable d’assurer la principale fonction que l’on en attend, collecter des recettes fiscales suffisantes de manière proportionnelle et équitable.

En quoi consiste exactement une niche fiscale ?

Au sens étymologique, une niche fiscale pourrait être définie comme une dérogation offerte à une catégorie de contribuables qui, sous certaines conditions, pourraient se soustraire à une disposition légale et, de ce fait et in fine, payer moins d’impôt ou ne pas en payer du tout.

Appelée aussi « dépense fiscale », la niche fiscale se concrétiserait par une déduction spécifique du revenu imposable ou un abattement effectué sur l’impôt lui-même, directement ou par l’intermédiaire d’une réduction des taux applicables.

La niche fiscale n’est pas toujours une situation issue de la volonté de l’État qui souhaite encourager l’investissement ou orienter le développement économique. Elle peut aussi provenir d’une lacune de la loi en vigueur que les contribuables pourraient exploiter en vue de se soustraire au paiement de l’impôt de manière légale. Dans ce dernier cas, habituellement, l’État devrait rapidement réagir et corriger la loi afin de supprimer la niche fiscale. Il peut le faire lors de l’adoption de la loi de finances qui est une occasion annuelle d’adopter de nouvelles mesures fiscales.

Sans intervention du législateur, une niche fiscale provenant d’une lacune ou d’un vide de la loi, pourrait disparaître par l’effet d’une décision judiciaire lorsque l’État n’est pas en accord avec une interprétation de la loi faite par un contribuable et qu’il décide de s’adresser à un juge. Ce dernier cas est rare au Maroc, pour ne pas dire inexistant.

Les principales niches fiscales dans le système fiscal marocain

Nous évoquerons ici de véritables niches fiscales, conformément aux dispositions citées ci-dessus. Elles peuvent, indifféremment, concerner des réductions d’impôts, des exonérations totales permanentes ou provisoires et des avantages fiscaux spécifiques.

À titre d’exemple et afin de bien préciser ce dernier point, lorsque le code général des impôts octroie une exonération totale permanente d’impôt aux associations à but non lucratif, il ne s’agit pas d’une niche fiscale mais plutôt d’une décision logique de ne pas imposer des établissements dont l’objectif économique n’est pas la distribution de bénéfices. Ceci est un principe d’ordre universel.

– Exonération des bénéfices réalisés par les entreprises exportatrices de  produits ou de services, une mesure destinée, évidemment, à augmenter les réserves de devises étrangères détenues par l’État. Cette niche fiscale est corrigée après cinq années d’exonération totale afin de réduire la dépense fiscale sans supprimer son caractère incitatif ;

– Exonération, dans des conditions similaires, des bénéfices réalisées par les sociétés ayant obtenu le statut de « Casablanca Finance City », une niche fiscale qui a un caractère hautement stratégique au plan économique car elle devrait permettre de renforcer la situation régionale de « hub » dont nos décideurs souhaitent doter Casablanca ;

– Exonérations des bénéfices réalisés par les entreprises exerçant leur activité dans les zones franches d’exportation, les zones offshores nearshores., toutes des mesures destinées à attirer les investisseurs étrangers et dynamiser le rôle du Maroc dans la région MENA ;

– Exonération de certains revenus financiers distribués par des organismes déterminés de placements collectifs e/ou de sociétés dont les actions ont été introduites à la bourse des valeurs de Casablanca. Il ne fait aucun doute du caractère incitatif de telles niches fiscales ;

– Taux d’imposition réduits offerts à certains contribuables, notamment les petites et moyennes entreprises. Il s’agit de l’une des niches fiscales les plus convoitées dont la mise en application pourrait, malheureusement, s’accompagner d’une opération de dissimulation afin de réduire le bénéfice fiscal au niveau du taux réduit.

D’autres avantages fiscaux dans les mêmes formes ont été institués au Maroc. Il serait inutile de les citer tous.

Par contre, nous ne trouvons quasiment aucune niche fiscale sous forme de disposition susceptible d’aider l’entreprise à réduire son résultat fiscal.

Le régime fiscal de l’amortissement dégressif ou celui de la fusion des sociétés pourraient être cités à ce titre.

Il est peu probable que ce soit le fait du hasard car, comme nous le précisions plus haut, il n’est pas aisé pour un État, notamment lorsque son économie n’est pas suffisamment avancée, de trancher en la matière.

Est-il plus efficace de multiplier les exonérations fiscales ou devrait-on, plutôt, mettre en place un système fiscal permettant réduire la base imposable ?

Pour le Maroc, cette question est fondamentale car elle traduit son souci permanent de réussir l’équilibre budgétaire…

Ce n’est pas aisé d’autant plus « que ces niches accaparent près de 4% du PIB et 15% des recettes fiscales », selon l’article de « Libre Afrique »…

Depuis le début de la réforme fiscale au Maroc, dans les années 80, il n’a été question que d’élargissement de l’assiette fiscale !

L’abandon successif des exonérations fiscales démesurées en est la preuve. Ceux qui se souviennent de l’ère des codes d’encouragements aux investissements (industriels, touristiques, artisanaux….etc.) me comprennent sans doute. Une longue période durant laquelle l’État a compris que les niches fiscales doivent être de taille et de durée raisonnable, au risque d’assécher les caisses du Trésor. Nous connaissons tous, par ailleurs, la faculté de certains contribuables de rebondir sur des niches fiscales déjà exploitées par le biais de stratagèmes judicieux juridico-comptables !

Aujourd’hui, à vrai dire, de tels avantages sont complètement bannis pour céder le terrain aux dépenses fiscales dont la détermination a été visiblement mieux évaluée. Et pourtant, il reste à faire car, de l’avis général, budget de l’État à l’appui, les recettes fiscales sont mieux assurées par l’impôt sur le revenu lié aux rémunérations salariales et à la taxe sur la valeur ajoutée.

La plupart des sociétés ne contribuent pas autant qu’elle devraient le faire car elles profitent des niches fiscales institutionnelles après avoir réduit de manière « artificielle » leur base imposable.

Voilà la raison pour laquelle nos partenaires étrangers ont porté ce jugement négatif sur le système fiscal et, notamment, les niches qu’il propose.

Mais il serait imprudent de répondre trop rapidement à la question posée par l’article de « Libre Afrique ».

Supprimer toutes les niches fiscales afin de rétablir l’équité de l’impôt ?

Aucun État au monde n’a pu résoudre cette question. Il y a ceux qui ont opté pour le tout impôt en dégageant le citoyen de la plupart des dépenses qui pèsent lourdement sur son budget, une sorte « de Super État providence » et ceux qui préfèrent diminuer leur intervention, même sur le terrain fiscal.

Le Maroc, en ce moment, est dans un carrefour et il lui appartient de mieux se positionner en prenant en considération tous les critères nécessaires. Le niveau économique et social de sa population doit, sans doute, être déterminant.

Il est nécessaire de repenser tout notre système fiscal afin de mieux l’adapter à notre réalité économique et notre situation au plan géopolitique. S’il est indispensable de supprimer la plupart des niches fiscale, faisons-le avec la prudence nécessaire mais n’oublions pas de regarder du côté de l’assiette. Avec des règles peu généreuses et l’absence totale d’avantages fiscaux, nous pourrions courir le risque de « casser » l’appareil productif et faire fuir les investisseurs étrangers.

La question est loin d’être simple n’est-ce pas ?