En paraphrasant Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et spécialiste du droit de la régulation :
Enfin libre ! A la sortie d’une offre publique de retrait, cette première exclamation sera celle du minoritaire. Le droit marocain l’y autorise. Enfin seul ! A la sortie d’un retrait obligatoire, la seconde sera celle du majoritaire.
L’importation en droit Marocain du squeeze out américain lui permet cet heureux soupir.
Après CARNAUD MAROC en 2006 ; LE CARTON en 2008 ; LA MAROCAINE VIE en 2009 ; LGMC, ONA, SNI en 2010 ; BERLIET MAROC en 2011 ; BRANOMA en 2012 ; SOFAC, SCE, FERTIMA en 2013 ; c’est au tour de MEDIACO MAROC de quitter la cour des grands, suite à l’Offre Publique de Retrait initiée par AFRIQUE LEVAGE en 2014. Cette vague de radiation qui se produit en rafales ne peut pas nous laisser indifférents. Au fil des opérations, il semblerait que le processus est en bonne marche.
Les intérêts des minoritaires et majoritaires, a priori opposés, étant servis, quid des intérêts de la société, cette personne morale pour reprendre les termes de M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy qui attribuent cet aphorisme, sous une forme similaire, à Gaston Jèze : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale », ce à quoi le professeur Jean-Claude Soyer répond : « Moi non plus, mais je l’ai souvent vue payer l’addition ».
Pour le cas qui nous intéresse ici, à en croire les rédacteurs de la note d’information, visée par le CDVM, et afin d’offrir une opportunité aux actionnaires minoritaires d’apporter leurs titres préalablement à la radiation des titres MEDIACO Maroc de la cote, le principal actionnaire de MEDIACO Maroc, AFRIQUE LEVAGE, a initié une offre publique de retrait.
MEDIACO Maroc, filiale de AFRIQUE LEVAGE, a été introduite à la Bourse de Casablanca en 2006. Durant les 3 dernières années, la société a vécu une situation financière difficile traduite par un manque de visibilité par rapport à son activité et son incapacité à honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Cette situation s’est reflétée sur le cours boursier du titre qui a perdu plus que 90% de sa valeur depuis sa date d’introduction le 12 Juin 2006 au prix de 495 Dh. Dans ce contexte, la société a initié une procédure de redressement judiciaire qui a été rejetée par le tribunal motivée par l’atteinte d’un niveau de capitaux propres inférieur au trois quart du capital social.
La société a fait également l’objet d’une procédure judiciaire de cession de fonds de commerce initiée par les banques créancières en date du 20 Mai 2014. Cette procédure est actuellement en cours. AFRIQUE LEVAGE a donc décidé d’initier la procédure d’offre publique de retrait des titres de MEDIACO Maroc consécutivement à la décision de radiation des titres de cette dernière de la cote de la Bourse de Casablanca. Cette offre porte sur l’acquisition de tous les titres non détenus par l’Initiateur, soit 99 188 titres représentant 23.13% du capital et des droits de vote de la société au prix unitaire de 32 MAD par action ainsi que les droits d’attribution rattachés au titre, soit 24 droits au prix unitaire de 24 MAD par droit [1]. Ces propos ayant fait la une des quotidiens Marocains méritent qu’on leur accorde une attention particulière, ne serait-ce que le temps d’une lecture.
Qu’est-ce qu’une offre publique de retrait ?
Aux termes de l’article 6 de la loi 26-03 relative aux offres publiques sur le marché boursier, l’offre publique de retrait est la procédure qui permet aux personnes physiques ou morales, détenant, seules ou de concert [2], la majorité des droits de vote d’une société dont les titres sont inscrits à la cote, de faire connaître publiquement qu’elles se proposent de racheter des titres de ladite société, afin de permettre aux personnes physiques ou morales détenant des titres de cette société et n’appartenant pas au groupe précité de se retirer du capital social de ladite société.
Cette offre de retrait correspond, donc à une « offre de fermeture» par laquelle un actionnaire détenant la quasi-totalité du capital de la société « propose ou impose» aux minoritaires de lui vendre leur action afin de fermer le capital de la société au public, c’est-à-dire de retirer la société du marché. Une telle opération aboutit à un public to private (P2P).
L’offre publique de retrait peut être motivée par :
Mais le plus souvent, l’offre publique de retrait consacre en faveur des actionnaires minoritaires des sociétés, dont les titres sont cotés, le droit de quitter la société lorsque la survenance de certains événements affecte directement l’intérêt qu’ils peuvent avoir à y demeurer plus longtemps. Elle participe, donc, d’une philosophie : assurer la protection des droits des actionnaires minoritaires en ménageant à leur profit une porte de sortie.
Les cas d’offre publique de retrait sont limitativement énumérés par la loi 26-03 relative aux offres publiques sur le marché boursier. Le dépôt d’une offre publique de retrait peut être imposé par le CDVM à la ou aux personnes physiques ou morales détenant, seules ou de concert, la majorité du capital d’une société dont les titres sont inscrits à la cote de la Bourse des valeurs, lorsque les conditions ci-après sont réunies :
A notre avis et dans toutes les occurrences ainsi énumérées, Le CDVM doit apprécier, au cas par cas, s’il y a lieu (ou non) au dépôt d’une offre publique de retrait. Pour ce faire, il lui appartient principalement de tenir compte des conséquences que l’opération projetée peut avoir sur les droits et les intérêts des actionnaires minoritaires. Autrement dit, ce n’est que dans le cas où il existe un risque significatif que ces derniers ne deviennent prisonniers de leurs titres, qu’une offre publique de retrait devra être déposée.
Aux termes de l’article 20 de la loi 26-03, le dépôt d’une offre publique de retrait est obligatoire lorsqu’une ou plusieurs personnes physiques ou morales, actionnaires d’une société dont les titres sont inscrits à la cote de la Bourse des valeurs, détiennent, seules ou de concert, directement ou indirectement, un pourcentage déterminé des droits de vote de ladite société. Le pourcentage visé ci-dessus est déterminé par l’administration, sur proposition du Conseil déontologique des valeurs mobilières, sans qu’il puisse être inférieur à 90% [4]. Le dépôt d’une offre publique de retrait est également obligatoire en cas de radiation des titres de capital d’une société de la cote pour quelque cause que ce soit. Les personnes physiques ou morales détenant seules ou de concert, la majorité du capital de la société en question doivent, à leur propre initiative et préalablement à la radiation effective, procéder au dépôt d’une offre publique de retrait. A notre sens ce retrait obligatoire impose aux minoritaires l’obligation de vendre. C’est donc une atteinte portée au droit de propriété des actionnaires minoritaires ainsi qu’à celui pour tout associé de le demeurer.
S’il est vrai que la concentration de la quasi-totalité des titres en une seule main en altère en effet la liquidité et pèse sur les cours et qu’il n’y a aucun intérêt à maintenir artificiellement à la cote un titre qui n’a plus d’existence boursière, faute de liquidité suffisante ; il n’en demeure pas moins vrai qu’il convient, dans la même veine, d’admettre à quel point ce retrait obligatoire bouleverse le droit Marocain. En effet, cela revient à reconnaître, et c’est le moins que l’on puisse dire, que notre loi admet une expropriation, sauf qu’elle n’est pas pour cause d’utilité publique, et encore moins privée, à moins que les détracteurs de cette thèse ne veuillent la qualifier d’expropriation pour cause d’utilité économique ! Soit.
En tout état de cause, le retrait obligatoire débouche sur la radiation des titres concernés du marché sur lequel ils sont cotés et conduit pour la société à la perte de son statut de société faisant appel public à l’épargne. Pour leur part, les minoritaires seront dépossédés de leurs titres dans un contexte juridique où la propriété privée est définie comme la première concrétisation de la liberté individuelle. Vont-ils recevoir une « juste» et « équitable» indemnisation, et ce, en vertu des principes gouvernant l’expropriation pour cause d’utilité (publique) ? On ne risque pas d’oublier l’affaire GENERAL TIRE, qui reste un docte témoignage à ce sujet.
Y a-t-il, maintenant, des garde-fous pour ne pas « trop » léser les minoritaires ?
La loi 26-03, dans son article 25, prévoit deux garde-fous. Le premier a trait à la ou les méthode(s) d’évaluation à retenir. En effet, le prix doit être établi selon des méthodes d’évaluation pertinentes et usuellement retenues. Les critères utilisés dans lesdites méthodes doivent être connus, exacts, objectifs, significatifs et multiples, et conduire à une estimation équitable et légitime de la société visée, satisfaisant tant à l’intérêt général du bon fonctionnement du marché qu’à l’exigence de loyauté des transactions. Le deuxième a trait à l’évaluateur lui-même et à sa rémunération. L’évaluation des titres de la société visée est effectuée par un évaluateur désigné par l’initiateur après approbation préalable du CDVM. Ce dernier s’assure de l’indépendance de l’évaluateur. La rémunération de l’évaluateur ne peut, même partiellement, dépendre des conclusions de l’évaluation ou de la réussite de l’opération d’offre publique envisagée.
Dans le cas d’espèce, l’évaluateur a procédé à des travaux de valorisation de MEDIACO Maroc sur la base des méthodes suivantes :
Commençons par la valeur liquidative de la société qui correspond à la valeur économique de ses actifs nets de son passif. Il semblerait, à notre avis, que le choix de cette méthode n’est pas pertinent du fait que la comparaison du passif (économique et non comptable) et le passif économique ne peut que déboucher sur un éventuel mali de liquidation pour les actionnaires de MEDIACO Maroc, il s’agit en fait de dire aux minoritaires : la liquidation de la société ne vous apportera rien. Quant à l’approche par le cours de bourse qui consiste à déterminer la valeur de la société par référence à son cours de bourse moyen observé sur différentes périodes, nous estimons que cette approche pêche par le fait que le cours cible n’est pas pertinent compte tenu de l’illiquidité du titre. Nous arrivons maintenant à la méthode des comparables boursiers qui est une approche analogique, fondée sur la capitalisation de certains paramètres de l’entreprise. Elle consiste à appliquer aux indicateurs financiers de MEDIACO Maroc, les multiples observés sur un échantillon composé d’entreprises cotées. Or, cette méthode est trop simple pour pouvoir prendre en compte l’ensemble des caractéristiques de l’entreprise, notamment celles qui la différencient des sociétés auxquelles elle est comparée, et trop subjective quant au choix des multiples « appropriés ».
Cela conduit Crow et al. (2001) à considérer, dans un propos quelque peu provocateur, que la méthode des multiples serait la méthode la plus mal comprise et la plus mal appliquée par les professionnels. En effet, l’utilisation de cette méthode pour la détermination d’une valeur fondamentale suppose l’acceptation de deux pré-requis, tous deux aussi importants qu’irréalistes, dans la plupart des cas :
L’échantillon (SRM, TIMAR, STROC et Stockvis) et les multiples (P/Sales ratio, P/EBE) retenus dans le cadre de l’évaluation de MEDIACO Maroc révèlent que les règles de transparence et de protection des actionnaires minoritaires, pour lesquelles plaide, avec véhémence, la loi 26-03, ne sont, malheureusement, que vanité.
[1] Voir la note d’information visée par le CDVM le 31 octobre 2014 sous la référence VI/EM/033/2014.
[2] Au sens de l’article 10 de la loi 26-03 relative aux offres publiques sur le marché boursier.
[3] La justification de cette hypothèse est le recours à la transformation d’une société en société en commandite par action pour rendre la société difficilement opéable. En effet, ce type de société est composé d’associés commandités qui détiennent le pouvoir puisqu’ils sont seuls à pouvoir être dirigeants, et de commanditaires, qui sont les actionnaires détenant le capital. Les statuts peuvent prévoir des clauses rendant irrévocables les dirigeants, de ce fait si le capital est opéable, l’attaquant qui veut acquérir le capital ne pourra pas devenir dirigeant car il sera commanditaire. Les minoritaires sont alors privés d’une possibilité de sortir et subissent une décote de leurs titres. Ainsi, l’obligation de lancer une offre publique de retrait permet de rétablir l’équilibre au profit des actionnaires. Ici, aucun seuil n’est exigé pour déclencher l’offre, il ‘agit uniquement d’un critère qualitatif, la transformation de la société.
[4] Les personnes visées doivent à leur initiative et dans les trois jours ouvrables après le franchissement du pourcentage des droits de vote, déposer auprès du CDVM un projet d’offre publique de retrait. A défaut, ces personnes perdent de plein droit tous les droits de vote, pécuniaires et autres droits attachés à leur qualité d’actionnaires. Ces droits ne sont recouvrés qu’après le dépôt d’un projet d’offre publique de retrait.