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L’erreur et son Droit

Rédigé par Mourad HARICI | May 24, 2023 10:43:58 AM

Le Droit apprécie les faits et situations clairs pour mieux, elles lui permettent de mieux se déployer et garantir une justice saine et équitable. Il s’embrouille et s’emballe dès que ces faits manquent de limpidité en raison des circonstances ou dagissements inhabituels ou suspects. Il doit savoir séparer les actes délictueux de ceux qui sont le fruit de la bonne foi, pour mieux choisir la peine et s’assurer s’il n’y a pas circonstances atténuantes !

Le justiciable peut commettre des erreurs, certains vont même jusqu’à revendiquer un « droit à l’erreur ». D’autres n’ont pas hésité à la placer parmi les valeurs que l’entreprise doit cultiver1. On parle souvent de l’«erreur invincible», impossible à éviter, excusable, celle que commettrait tout homme normalement prudent et diligent, mais, dans le même temp, un vieil adage nous rappelle que « nul n’est censé ignorer la loi » !

Si l’on ajoute à cela les variantes juridiques qui distinguent les erreurs de fait2 de celles de droit3, nous pourrons mieux prendre en considération le terrain glissant sur lequel circule le Droit et les erreurs qui peuvent être commises dans l’exécution de ses règles.
Toutes les disciplines de notre Droit ainsi que ses règles générales sont confrontées au concept d’erreur et il est parfois difficile d’en établir une évaluation suffisamment précise afin d’appliquer la règle de droit sans aucune distorsion ni accroc.

1 Le droit à l’erreur, au cœur des valeurs agiles – Emmanuel Gril - Infolettre HEC Montréal 14 juin 2021
2 'Erreur qui porte sur une appréciation erronée des circonstances entourant l'infraction
3 Appréciation erronée d'une règle de droit conduisant un individu à croire à tort, qu'il pouvait légitimement accomplir un acte

Les règles générales de droit

Notre bon vieux D.O.C.4 nous a clairement indiqué que nos actes doivent être effectués avec un « consentement libre éclairé » et que ces deux conditions essentielles ne pouvaient être remplies dans plusieurs circonstances, dont l’erreur5.
Par exemple, un contrat pourrait-
être annulé si une erreur est à l’origine du consentement de l’une des parties. Mais l’erreur étant parfois « excusable » cette même source nous précise que ladite nullité n’est que relative et pourrait, le cas échéant, être réparée. L’erreur est donc considérée comme une circonstance de faible gravité en comparaison avec d’autres motifs qui pourraient aussi entraîner un vice du consentement6.

Ces règles de base relatives à la notion d’erreur sont reprises par d’autres matières du droit dès qu’il s’agit d’appréhender des situations où une réparation doit être faite, quelle qu’en soit la nature.
Le Code pénal est coutumier d’un vocabulaire beaucoup plus ardu, comme l’infraction, le délit ou le crime. L’erreur s’y est pourtant frayé une place non parmi les auteurs de ces actes mais plutôt parmi ceux qui ont la responsabilité de les juger et condamner. Elle prend, alors un qualificatif qui entraîne indignation, mépris et révolte, l’« erreur judiciaire7 ».

Dans les circonstances moins exceptionnelles et sans doute moins douloureuses, l’erreur doit faire l’objet d’une interprétation juste afin d’éviter l’erreur judiciaire. C’est là la principale difficulté à laquelle font face régulièrement les personnes qui ont la lourde responsabilité de faire appliquer les règles de notre Droit.

Pour mieux mettre en évidence cet inconfort, nous prendrons des exemples de situations qui nous interpellent quotidiennement dans la vie de l’entreprise, car c’est de management qu’il s’agit et de règles que le chef d’entreprise doit observer avec le plus grand soin et l’extrême prudence.

Nous les puiserons dans le droit fiscal et le droit commercial avant d’évoquer le sort du traitement de l’erreur dans la révolution du monde et du Droit provoquée par l’intelligence artificielle.

Le Droit Fiscal

Dans cette discipline connue pour sa sensibilité aux dépenses publiques, l’erreur se transforme instantanément en redressement puis en créance exigible de l’État envers le contribuable, dès que ce dernier fait l’objet d’une vérification fiscale selon les formes et procédures instituées par la loi8.

Ne vous y méprenez surtout pas, les sanctions applicables sont de même nature9 quelle que soit la terminologie utilisée par la loi. Le mot « erreur » côtoie d’autres termes choisis par notre législateur, comme anomalie, irrégularité, omission, inexactitudes, mais il ne faut pas en conclure que l’erreur est traitée de manière plus clémente, comme nous l’ont suggéré certaines dispositions du D.O.C. L’administration fiscale n’a pas l’habitude d’excuser les erreurs commises par les contribuables dans les obligations déclaratives qui leur incombent, notamment lorsqu’elles sont fréquentes et répétitives. Les éventuels « accommodements » qui pourraient être consentis n’ont pas pour effet d’absoudre l’erreur. Ils constituent un des outils qui permettent aux « parties » de mieux s’entendre sur le montant final à payer.
Mais l’erreur est toujours là !

4 Dahir formant Code des Obligations et Contrats de 1913
5 Articles 39 et suivants du DOC
6 Dol, violence et infractions liées à l’ordre public
7 Erreur de fait commise par une juridiction dans l’appréciation de la culpabilité d'une personne poursuivie
8 Article 210 et suivants du Code Général des Impôts, relatifs au contrôle de l’impôt
9 Paiement de l’impôt évité accompagné de majorations de retard et d’amendes 2

Le Droit commercial

Ce droit est sans doute moins contraignant mais tout autant exigeant car ses règles ont été instituées pour améliorer la transparence et la fluidité des activités commerciales, qu’elles soient entreprises individuellement ou dans une structure sociétale.
N’oublions pas, à ce titre, que l’environnement des affaires est très fortement contractuel et que le droit qui le régit a donné à l’erreur une place qui est totalement différente selon la situation dont il s’agit.

En général, cette place est souvent réduite car le Droit s’est retiré considérablement pour céder suffisamment d’espace à un grand principe juridique, celui de la « liberté contractuelle ». Les parties négocient, concluent et exécutent toutes les clauses qui leur semblent les mieux adaptées à leur projet et à l’objectif qu’elles souhaitent atteindre, en toutes sécurité et efficacité, dans le respect des lois et règlements en vigueur.

Les erreurs qu’elles commettraient devraient être corrigées d’un commun accord et en toute intelligence. C’est ainsi que le monde des affaires devraient fonctionner. Et si l’une des parties prétend que l’erreur provient d’une « manœuvre frauduleuse » de l’autre partie, son consentement ne serait plus libre, ni éclairé et le Droit reprendrait sa place. Dans cettehypothèse, il nous précise qu’il n’y a plus d’erreur, c’est un « dol10 » qui entraîne une judiciarisation des relations contractuelles.

Ce qui précède concerne les contrats commerciaux usuels dans lesquels l’entreprise et les particuliers s’engagent en permanence, parfois sans même réfléchir.
L’entreprise, plus que le particulier doit tout mettre en œuvre pour éviter l’erreur, même si elle peut être corrigée aisément. C’est la responsabilité du chef d’entreprise et de la Direction juridique lorsqu’elle existe.

Mais il y a d’autres contrats dans le monde des affaires, surveillés par le droit commercial et par d’autres disciplines.
Prenons le cas du contrat de sociétés qui permet d’établir une véritable protection des dirigeants envers les tiers. Le droit qui le régit 11offre la possibilité d’ériger un écran opaque qui permet aux associés ou actionnaires, selon la forme choisie, de limiter leur responsabilité aux montants des apports qu’ils ont consentis. Ces sociétés, dites « de capitaux »12 sont des véhicules juridiques qui permettent un développement rapide des affaires par association et apport de capital à une personne morale totalement distincte des personnes physiques qui la constituent.

10 Manœuvre frauduleuse effectuée par l’une des parties en vue d’obtenir le consentement de l’autre partie – D.O.C.
11 Droit des sociétés
12 Société anonyme, société à responsabilité et société en commandite par actions

Qu’en est-il de l’erreur dans ces conditions ? Si elle est commise dans la tenue des comptes et les obligations déclaratives, le droit fiscal s’en chargera, comme nous l’avons précisé ci-dessus. Les erreurs des associés dans le cadre de la gestion de la vie de la personne morale doivent être corrigées selon les règles du droit des sociétés. Et si un associé commet des actes délictuels, le droit pénal est compétent.

Mais il y a des évènements durant lesquels l’erreur pourrait occuper un « poste » central dans la vie de la personne morale. C’est le cas lorsqu’elle traverse des difficultés. Le Livre V du Code de commerce a été consacré entièrement à cette question importante.
Selon une procédure complexe dont nous ne livrerons pas les détails ici le juge du Tribunal de commerce pourrait mettre la personne morale en « liquidation judiciaire »
13.

Il n’est pas utile de préciser que cette liquidation judiciaire se termine toujours par une insuffisance d’actif, ce qui laisse plusieurs créanciers impayés.
Mais le Code de commerce a prévu des dispositions pour venir au secours de ces créanciers malheureux. C’est l’« erreur manifeste de gestion14 », celle que le chef d’entreprise n’a pas le droit de commettre. Une telle erreur entraîne l’interruption de la liquidation judiciaire de la personne morale et l’ouverture de celle des dirigeants qui ont commis l’erreur fatale15. L’écran disparaît instantanément et la responsabilité des dirigeants devient illimitée, indéfinie et solidaire. Ils répondront de l’insuffisance de l’actif sur leurs biens propres et pourraient être poursuivis pénalement avec le risque de condamnation à la privation de liberté !

Le Droit intervient avec la plus grande sévérité. Il n’y a plus aucun droit à l’erreur.

L’Erreur est humaine (?)

Cette expression est communément utilisée pour atténuer la responsabilité de la personne auteure de l’erreur. Vous vous en doutez, elle ne fait pas très bon ménage avec le Droit. Et le basculement des activités de l’entreprise dans la digitalisation ne va pas réduire cette mésentente, bien au contraire !

L’intelligence artificielle sera chargée de repérer les erreurs humaines, en admettant que son support totalement numérisé la rende parfaite. L’humain étant le concepteur des algorithmes utilisés dans cette modélisation, rien n’est moins sûr !
Et même si ce caractère parfait pouvait être atteint par expérience et traitement de données,
l’erreur pourrait survivre lorsque l’intelligence artificielle voudra nous corriger.

L’exemple le plus éloquent est celui de recoupements effectués par des plateformes digitalisées en vue de repérer des erreurs ou inexactitudes dans des déclarations fiscales. Des états aussi incohérents qu’incompréhensibles ont été édités et adressés à des contribuables humains qui les ont vivement contestés, à juste titre !

13 Réalisation de l’actif de la société en vue de combler son passif
14 Le Code de commerce utilise le terme « faute » de gestion
15 Articles 738 et suivants du Code de commerce